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Mémoire de pierre : « Un apprenti est là pour en chier dans le bâtiment » : la formation des tailleur.se.s de pierre (5/7)

dimanche 24 septembre 2017, par SUB-TP-BAM RP

Mémoire de pierre : Des tailleurs de pierre syndiqués à la CNT

Partie 5/7 : « Un apprenti est là pour en chier dans le bâtiment » : la formation des tailleur.se.s de pierre

Frank :
Tu as parlé de cours que tu as fait à Avignon ; il y a combien de jeunes qui rentrent en gros pour être tailleurs de pierre ?

Fred :
Il y a très peu de centres de formation en France. Il y a 70% de jeunes qui échouent déjà au niveau du CAP.

Frank :
Combien restent ?

Fred :
En France, il y doit y avoir une dizaine de centres de formation dans les métiers de la pierre, traceurs, tailleurs de pierre, etc. , sculpteurs, marbriers [1].

Frank :
Quelle est la moyenne d’âge ?

Fred :
Il y a différentes possibilités : il y a des centres qui s’adressent à des jeunes en situation de scolarité courte, fin de troisième ou plus tard, un cycle de formation pour apprenti. Pour l’apprentissage, ils ont de 14 à 18 ans. C’est l’apprentissage et sinon il y a des structures de type AFPA, formation pour adultes. Ou sinon d’autres types d’associations aussi qui permettent à des jeunes adultes ou même à des gens plus âgés de devenir compagnons.
Et par le biais du compagnonnage, qui est assez propre aux centres de formation, de passer un CAP de tailleur de pierre. Pour les jeunes de 16 ans, ça va être 2 ou 3 ans, pour un adulte, la formation va durer 8 à 12 mois.

Louis :
Moi j’étais dans un CFA. J’avais 24 ans, j’étais en fait le plus vieux. Les gens avaient une moyenne d’âge de 15 ans.

Fred :
Quand un gamin ne va pas bien à l’école, qu’est-ce qu’on lui dit ? On lui dit : « Tu seras maçon, tu seras plombier ». C’est ça aujourd’hui. Alors parfois il y en a qui ont peut-être une autre sensibilité, ou qui avait un grand oncle ou grand-père qui travaillaient dans la pierre. Donc il dit : « moi je vais faire tailleur de pierre ». Ça peut être une tradition de père en fils, etc. C’est souvent en situation d’échec. Je ne pense qu’il y ait beaucoup de jeunes qui fassent le choix de faire la taille de pierre. On constate malgré tout aujourd’hui qu’il y a de plus en plus de jeunes adultes qui font des études supérieures, de diplômés - c’est le cas pour la plupart des camarades des syndicats -, entre 25 et 40 ans, et qui font ensuite une formation de tailleurs de pierre. Ils changent complètement de domaine et ils essaient de trouver leur truc. Mais je pense que ça correspond aussi à un état d’esprit. Un jeune qui va entrer en apprentissage, il faut qu’il soit bien accroché aujourd’hui.
Ça vient aussi, à mon avis, de toute cette tradition du bâtiment, de bâtisseur qui vient du Moyen-Âge. Un apprenti est là pour en chier dans le bâtiment. Ça va être un jeune, un lapin, qui sort de CAP, ça dépend des entreprises la plupart du temps, et moi pendant 6 mois j’ai fait les sacs de gravats. Je pense qu’à l’âge que j’avais, parce que je savais que derrière il y avait des tailleurs de pierre compétents et que je voulais apprendre, et quand je demandais « je suis tailleur de pierre, j’ai mon CAP et tout, je veux tailler la pierre », on me répondait : « Non, attends ». Franchement, ça n’est pas sain.

Louis :
Au Moyen-Âge, ça durait sept ans, le latin et le grec étaient imposés, il y avait des joutes oratoires, des textes de philo de Saint-Bernard, d’Aristote. Il y a eu toute cette tradition de ... isme, de christianisme, etc.

Fred :
Certains camarades de la CNT nous font parfois le reproche de restaurer des églises. Il faut noter qu’une charte de tailleurs de pierre interdit le travail dans les prisons, et d’ailleurs on peut se souvenir qu’en 1789, les tailleurs de pierre ont été les premiers à participer à la démolition de la Bastille. C’est vrai qu’il y avait ce sentiment d’indépendance, etc. mais à côté de ça, il y a des choses encore plus dérisoires, comme au Moyen-Âge des tailleurs de pierre qui ont fait grève sur tous les chantiers de cathédrales en France pour avoir le droit de porter la barbe et les cheveux longs, ce qui était réservé aux nobles.

Louis :
Les tailleurs de pierre avaient aussi le droit de porter la dague, et n’étaient pas tenus de respecter le couvre-feu. C’était un privilège que seuls les chevaliers pouvaient avoir. C’est pour ça qu’on a pu parler de chevalerie ouvrière.

Fred :
Pour revenir aux temps présents, les jeunes sont souvent déçus, ils apprennent en formation des techniques traditionnelles, du travail à la main, des outils taillants, pincettes, ciseaux, …

Louis :
En formation, il est interdit de prendre une machine, comme une meuleuse, une disqueuse …

Fred :
Et dès qu’ils arrivent en entreprises, on leur met une machine entre les mains.

Louis :
Machines qu’ils n’ont jamais touchées pour la plupart ou sinon, il ne faut pas le dire.

Fred :
Ou alors aussi quand tu arrives avec une règle sur le chantier, sur l’échafaudage, et que le chef de chantier prend la règle et la balance parce qu’ « on ne fait pas ça à la règle, mais à l’œil » !.

Frank :
Tu veux dire que le bon tailleur de pierre doit savoir instinctivement comment poser la pierre ? Ou tu veux dire que le bon tailleur de pierre doit savoir se servir d’une règle ?

Fred :
Non, sur un chantier, j’ai refusé de travailler à la machine. Dans de la pierre dure, comme le granit, je comprends qu’on utilise une machine, mais pas dans la pierre tendre. Mais pour l’entreprise, tout n’est qu’une histoire de rentabilité, de temps gagné.

Pour accéder à la suite de l’entretien : Partie 6/7 : Sécurité et hygiène sur les chantiers

Pour revenir au début de cet entretien :
Partie 1/7 : État du syndicalisme dans le bâtiment
Partie 2/7 : Taille de pierre et compagnonnage
Partie 3/7 : « La Fraternelle »
Partie 4/7 : Qu’est-ce que la conscience de métier ?


[1En 2017, on recense en France 26 centres de formation au CAP ’Tailleur.se de pierre’ - CFA (notamment ceux CFA des Compagnons du Devoir et du Tour de France), lycées professionnels et MFR -, 9 centres de formation au ’CAP Marbrier.ère du bâtiment et de la décoration’, 9 centres de formation au ’BP Métiers de la pierre’ et un centre de formation au BP ’Tailleur de pierre des monuments historiques’