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Mémoire de pierre : Sécurité et hygiène sur les chantiers (6/7)

dimanche 24 septembre 2017, par SUB-TP-BAM RP

Mémoire de pierre : Des tailleurs de pierre syndiqués à la CNT

Partie 6/7 : Sécurité et hygiène sur les chantiers

Frank :
Dans vos bulletins, vous parlez de comment tailler la pierre, vous défendez la tradition ?

Fred :
C’est des discussions qu’il y a aussi entre gens de métier sur un chantier, entre tailleur de pierre sur l’évolution des techniques. On ne rejette pas l’évolution des techniques qui permet aujourd’hui de transporter un bloc de trois tonnes. Là où on commence à gueuler, c’est quand il s’agit de savoir à qui revient le gain. Ce pose aussi la question de la santé au travail. Une machine fait de la poussière, et beaucoup de tailleurs de pierre meurent de la silicose à 40 ans.

Frank :
Qu’en est-il des protections individuelles et collectives ?

Fred :
C’est pipi de chat. On ne peut pas bosser avec ça. Avec un casque et un masque, en dix minutes, on ne voit plus rien. C’est vrai que d’autres copains, et c’est le cas de Louis, estiment qu’il faut entretenir un certain rapport avec la pierre. La pierre, ce n’est pas n’importe quoi. On n’est pas payé à la tâche et c’est vachement important, c’est qu’on peut prendre son temps dans un sens. C’est ce qu’on a dit quand on a fait la grève le 13 novembre [2000] sur la première page de notre Bulletin : « les camarades qui ne peuvent pas faire grève tombent les machines aujourd’hui, que ça fasse plaisir ». À côté de ça, il y a des camarades qui se font plaisir avec des machines.

Frank :
Quand vous avez dit que vous ne travaillez pas avec un masque, ça veut dire qu’à la limite vous allez vous intoxiquer pour faire du bon boulot ?

Fred :
Non. Si tu bosses à la main, tu ne fais pas une poussière telle que tu aies besoin d’un masque. Alors que la machine va désagréger les grains tellement finement que ça produit une poussière dangereuse.

Frank :
Tu as l’air de dire que pour travailler à l’aise, même avec une machine, tu ne mets pas de masque ?

Fred :
Ça arrive. Ça m’est arrivé sur des chantiers.

Frank :
Ça ne t’emmerde pas de te foutre les poumons en l’air ?

Fred :
Si bien sûr, on se fout en l’air le dos aussi, on n’y peut rien, c’est le métier. Un maçon lambda aujourd’hui soulève quatre tonnes par jour. Et les accidents du dos ne sont pas reconnus comme maladie professionnelle, en plus. Pour les machines, c’est tout ce qui lié d’une manière générale dans tous les métiers du bâtiment à l’inconscience du danger. Il y a un côté « je roule les mécaniques ». On est des mecs.

Frank :
Et les filles, qui sont tailleuses de pierre, elles sont pareilles ou elles portent plus facilement le masque ?

Fred :
Non, pas du tout. Il y a une fille qui vient d’adhérer au syndicat. La première fois que je l’ai vue justement, elle était à la disqueuse en train de prendre des chapiteaux, sans lunettes et sans masque. Je lui en ai fait la remarque justement.

Frank :
C’est le petit côté macho du boulot qui faisait ça ?

Fred :
Pas forcément macho, mais il y a bien sûr le jeu de la prise de risques, et l’idée de dominer la matière. De toute façon, il faut aller vite, et donc les entreprises ne travaillent que comme ça. Et même si chacun sait que dans le Bâtiment, il y a un mort par jour. C’est une forme d’inconscience. Je l’ai fait aussi, et un jeune qui rentre aujourd’hui dans une entreprise va faire ce qu’on lui dit de faire, même les malfaçons. Sur Avignon, on a travaillé sur un hôtel particulier. Il y avait un jeune, formé chez les compagnons. Ça faisait un ou deux mois qu’il était dans la boutique et il bossait avec un ancien. L’ancien, pendant trois mois, lui a appris à faire de la merde, à saloper le boulot. La merde, il la fait bien, c’est de la belle merde. Et ce jeune là, bien qu’il ait été en brevet professionnel comme tailleur de pierre, n’avait plus aucune conscience de son métier.

Frank :
L’ancien n’essayait pas de le raisonner ?

Fred :
Non, il n’était pas vraiment tailleur de pierre non plus, il était poseur de pierres, maçon. Ce n’est pas de leur faute. C’est vrai que sur tous les chantiers où on va, on essaie de défendre une certaine façon de travailler, une certaine façon de respecter le travail. Mais je pourrais dire aussi beaucoup de choses sur le mouvement libertaire, et ses théories sur l’abolition du travail.

Pour accéder à la suite de l’entretien : Partie 7/7 : « Être incontournables » : pratiques et perspectives syndicales

Pour revenir au début de cet entretien :
Partie 1/7 : État du syndicalisme dans le bâtiment
Partie 2/7 : Taille de pierre et compagnonnage
Partie 3/7 : « La Fraternelle »
Partie 4/7 : Qu’est-ce que la conscience de métier ?
Partie 5/7 : « Un apprenti est là pour en chier dans le bâtiment » : la formation des tailleur.se.s de pierre