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Mémoire de pierre : État du syndicalisme dans le bâtiment (1/7)

samedi 23 septembre 2017, par SUB-TP-BAM RP

Mémoire de pierre : Des tailleurs de pierre syndiqués à la CNT

L’entretien qui suit fut réalisé par Frank Mintz pour la revue « Les Temps Maudits » le samedi 27 novembre 2004. Fred et Louis, tailleurs de pierre, y répondaient en tant qu’adhérents du Syndicat Unifié du Bâtiment de la CNT d’Avignon.

En 10 ans, les espoirs portés par ces camarades et abordés dans cet article ne se sont pas concrétisés. Le Syndicat Unifié du Bâtiment d’Avignon a disparu peu de temps après. Le syndicalisme, en effet, et à l’image de la plupart des groupes sociaux construits sur un engagement bénévole, use souvent très rapidement ses militants - même les plus impliqués.

Cependant, nos syndicats conservent de ce moment la mémoire vivace et une trace qui pourra peut-être un jour soutenir l’ouverture d’un nouveau chemin.
Pour ce métier, comme pour d’autres au cœur de notre industrie, notre syndicalisme se doit de s’interroger sur les rapports qu’il peut ou doit entretenir avec un esprit compagnonnique qui, s’il s’attache surtout aujourd’hui à la formation professionnelle, n’en possède pas moins une indéniable force de séduction.
A notre syndicalisme de construire une identité de classe en capacité de rivaliser avec des formes de socialisation corporatistes.

Pour des questions de lisibilité, l’entretien a été découpé en 7 parties, accessibles ci-dessous :

Partie 1/7 : État du syndicalisme dans le bâtiment
Partie 2/7 : Taille de pierre et compagnonnage
Partie 3/7 : « La Fraternelle »
Partie 4/7 : Qu’est-ce que la conscience de métier ?
Partie 5/7 : « Un apprenti est là pour en chier dans le bâtiment » : la formation des tailleur.se.s de pierre
Partie 6/7 : Sécurité et hygiène sur les chantiers
Partie 7/7 : « Être incontournables » : pratiques et perspectives syndicales

Partie 1/7 : État du syndicalisme dans le bâtiment

Fred :
Adhérent du Syndicat Unifié du Bâtiment (SUB) de la Région Parisienne, recréé en 1997, j’ai pris contact avec des camarades travaillant dans mon métier de tailleur de pierre, pour les sensibiliser au syndicalisme.
La question s’est alors posée de comment aborder des salariés, sans culture syndicale, et comment les amener à la défense des intérêts immédiats des travailleurs mais aussi à la lutte de classes.
Puis un jour, sur un chantier à Paris, où j’étais intérimaire, j’ai discuté avec le délégué du personnel CGT d’une grosse entreprise de taille de pierres. C’était la première fois que je rencontrai un syndicaliste dans le bâtiment, qui au sein de la CGT était un oppositionnel à la ligne Thibaud. Il m’a appris que, dans les années 1990, un syndicat parisien CGT des tailleurs de la pierre avait existé.
S’est alors posée la question de comment faire un travail syndical dans ce secteur particulier de l’industrie du bâtiment, sans tomber dans un corporatisme, à l’opposé du syndicalisme d’industrie auquel nous nous référons, qui veut que pour gérer la société de demain l’ensemble des intervenants d’un secteur d’activité puissent collaborer. Car pour construire une maison, on a besoin des maçons, des charpentiers, des couvreurs, des plombiers, des électriciens, et pas seulement de tailleurs de pierre. C’est-à-dire que tous les métiers sont frères. Il n’y a pas de hiérarchie.
En cela, le bâtiment demeure un terreau favorable pour développer ce type d’idée. Il y a un certain état d’esprit dans le bâtiment, ce n’est pas nouveau surtout dans les vieux métiers. Les métiers que j’appellerai traditionnels comme : les charpentiers, maçons, tailleurs de pierres, menuisiers, chaudronniers ...

Frank :
Les carreleurs aussi ?

Fred :
Non car le carrelage est une spécialité de la maçonnerie. Chaque métier a une identité forte. Celle d’un plâtrier mettant du plâtre sur un mur, est différente de celle d’un staffeur. En fait sur un chantier, on n’arrive pas tous en même temps, chacun intervient à son tour. Il y a une succession qui peut tout autant poser des problèmes ou créer une solidarité.
Ce qui divise aujourd’hui sur un chantier, c’est davantage la recherche du profit à tout va des différentes entreprises et la sous-traitance en cascade. Il faut aller vite, et pour aller vite on en revient à la tâche, et à la pièce …

Louis :
C’est un bond en arrière, un retour au XIXème siècle. Oui, il y a beaucoup de correspondances entre le XIXème siècle et la situation actuelle.

Fred :
… Et cela créé aussi des tensions entre ouvriers, justement parce qu’on est chacun tiraillé par nos patrons qui veulent aller plus vite, quitte à saloper le boulot de l’autre, pour faire le sien. Au SUB, on n’invente pas le fil à couper le beurre, et on s’est dit : « les anciens ont sûrement déjà discuté du rapport entre syndicalisme d’industrie et syndicalisme de métier ». Et en effet, à l’origine du syndicalisme, la CGT s’était posée ces questions, car quand on consulte la presse syndicale de l’époque, il y a eu une liste phénoménale de syndicats différents dans l’industrie du bâtiment : syndicat des fumistes, des plaquistes, enfin de tous ses petits métiers. Aujourd’hui, la conscience ouvrière est plus large, mais elle est tuée en fait. On a un peu honte. L’ouvrier défend-il encore ses intérêts collectifs ?

Louis :
Non, aujourd’hui dans le Bâtiment, il n’y a pas grand chose, Et ça bouge moins vite que dans d’autres branche, comme l’éducation par exemple. C’est aussi très cloisonné, car il y a 90 % des entreprises du bâtiment en France qui font moins de dix salariés. La situation est la même qu’au XIXème siècle de ce côté là, sauf qu’aujourd’hui les entreprises de moins de dix existent encore, mais elles sont toutes rachetées par des grosses majors du BTP : Bouygues, Lafarge, les Carrières Barcamat qui ont fait couler plein des petites boîtes [1]. Dans notre corporation, qui s’inscrit dans une longue tradition, je trouve que le terme de tailleurs de pierre a malgré tout conservé une certaine noblesse, peut-être due à une conscience sauvegardée de notre conscience professionnelle.
Et la question posée à notre syndicalisme a alors aussi été de savoir comment justement intégrer des camarades qui ont une conscience de métier pour les amener petit à petit à une conscience de classe ?

Pour accéder à la suite de l’entretien : Partie 2/7 : Taille de pierre et compagnonnage


[1Bouygues est un groupe industriel diversifié français fondé en 1952 par Francis Bouygues. Les activités du groupe sont historiquement liées au BTP et à l’immobilier. La filiale Bouygues Construction s’est agrandie par l’acquisition de boîtes de bâtiment depuis les années 1970.
Lafarge est un groupe français de matériaux de construction. La société produit et vend dans le monde entier principalement du ciment, des granulats et du béton prêt à l’emploi. Depuis les années 1980, le groupe s’est agrandi par diverses fusions. Présent dans 61 pays, Lafarge emploie environ 63 000 personnes sur 1612 sites de production. En juillet 2015, Lafarge fusionne avec le n°2 mondial du secteur le groupe suisse Holcim, pour créer un nouveau groupe sous le nom de LafargeHolcim. Voir nos articles sur Lafarge