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Quelques réflexions Sur le mouvement social Contre la réforme des retraites 2023

mardi 25 avril 2023, par SUB-TP-BAM RP

Il n’y aurait, dans ce dernier mouvement social majeur, « ni vainqueurs ni vaincus », selon la première ministre Elisabeth Borne … sûrement pressée de passer à la prochaine étape de régression sociale, mise à l’ordre du jour de ce gouvernement des riches.

Si, en tout état de cause, nous sommes bien vaincus pour le moment, il nous paraît absolument nécessaire de tirer un premier bilan de ce mouvement, comme nous le faisons après chaque lutte et plus particulièrement encore quand il s’agit d’échecs.
Fort peu adeptes cependant de la flagellation, de l’auto critique stalinienne ou de la recherche de responsabilités extérieures, nous préférons collectivement, au travers de l’étude des événements, inventorier et analyser les raisons de nos difficultés passées pour en faire les outils de nos réussites à venir.
Il n’y a pas lieu ici de faire une analyse de l’ensemble du mouvement. Notre petit syndicat n’en a ni les compétences, ni le désir. Nos réflexions s’appliquent à notre champ d’industrie (BTP, Bois, Ameublement, Matériaux de construction). Si d’autres souhaitent s’en inspirer, libre à eux de le faire.

1/ NE PAS TIRER SUR L’AMBULANCE
Il serait bien trop facile de rejeter la faute sur l’intersyndicale … qui n’est que le reflet de l’état catastrophique du syndicalisme en France, semblant errer sans boussole dans la tempête sociale.
Après un siècle de collaboration de classe et d’abandon de ses valeurs, de ces principes et de ses pratiques organisationnelles et de luttes, qui cela pourrait-il encore surprendre ?
Mais sommes-nous meilleurs ?

Alors que plus de 70% de la population et 90% des salarié·es étaient contre cette réforme, et même si les cortèges de manifestations furent souvent massifs ; le mouvement n’a réussi à mobiliser qu’une infime partie des travailleur·euses. Les Français es, bien qu’opposé·es très majoritairement à cette réforme, sont resté·es le cul dans leur canapé, pour voir passer les manifs (dès le soir de la première manif, 73% des Français indiquaient qu’ils n’avaient pas l’intention de se mobiliser contre la réforme).

2/ RENDRE LA GREVE MAJORITAIRE
Le marasme social (dû à des décennies de recul social) et la difficulté des organisations syndicales à mobiliser (ou à simplement exister en dehors de leur bureaucratie et du paritarisme), semble avoir conforté les salarié·es dans la délégation de leur combativité, comme précédemment de leur représentativité.
On attend dorénavant que les secteurs réputés clés (énergie, transport, …), « bloquent l’économie ». Comme si l’on ne savait pas que le gouvernement à le moyen de réquisitionner, comme il le fait systématiquement aujourd’hui dans la santé, l’a fait dernièrement dans les dépôts d’hydrocarbures et s’apprêtait à le faire pour le ramassage des ordures ménagères … et comme il l’a fait de tout temps, depuis que le syndicalisme existe, en réquisitionnant l’armée pour briser les grèves.
Que nos compatriotes, en ces temps de pertes des savoirs collectifs, et de décervelage médiatique, puissent être dans l’ignorance de cela, on peut l’accepter, mais que des syndicalistes l’encourage ne peut être la preuve que d’une inculture syndicale.
Fernand Pelloutier écrivait : « Ce qui manque à l’ouvrier, c’est la science de son malheur ». Bien loin de prêcher le désespoir et l’inaction, cette formule était une invitation au combat, une exhortation à analyser et comprendre le fonctionnement de l’ennemi, pour en révéler les faiblesses et façonner les armes pour le vaincre.

A/ Qu’aucun·e salarié·e ne reste en dehors du mouvement
Loin du « Matin-du-Grand-Soir », et d’une grève générale mythifiée, il faut rendre la grève … générale par et pour tou·tes.
Sortir de la bonne conscience individuelle qui fait dire au travailleur·euse, bloqué.e dans sa bagnole à un rond-point occupé par des grévistes, qu’iel soutient le mouvement (donne même son obole à la « caisse de grève ») mais que, personnellement, iel ne peut pas « faire grève ».
Faire grève c’est ralentir (à défaut de bloquer) l’économie, faire baisser les dividendes des patron·nes et actionnaires, en un mot faire mal au portefeuille des commanditaires de Macron.
Mais c’est aussi redevenir, pour un temps, maître·sse de son travail, de son rythme et de sa qualité. C’est éloigner la subordination et l’urgence productiviste, pour redonner du sens et de la valeur à son labeur.

Dans ses années de jeunesse (1895/1914) le syndicalisme français a théorisé de nombreux moyens d’agir sans obligatoirement se déclarer en grève. C’étaient la grève du zèle (1), la grève perlée (2), le ralentissement des cadences, voire le sabotage.
Toutes ces actions pouvant être déclarées illégales, et afin de protéger les travailleur·euses qui décideraient d’y avoir recours, il est donc prudent que ces salarié.es ne le revendiquent pas et suivent les méthodes que le syndicat préconise dans chaque cas.
Si protéger les salarié·es est dans les gènes du syndicalisme, les appeler à rejoindre la grève sous de multiples formes fait partie de ses obligations d’organisation de classe.

B/ Qu’aucun·e salarié·es ne perde de revenus
De trop nombreux·euses salarié·es déclarent ne pas pouvoir faire grève, pour des raisons financières.
Il est évident qu’obtenir de nouveaux droits, tout autant que ne pas perdre ceux précédemment et douloureusement acquis, ça se prépare. Les patron·nes ou l’Etat (qui leurs est totalement dévoué) n’accordent jamais de nouveaux droits sans se défendre, et tenter ensuite de les récupérer. On appelle ça la lutte de classes, et ces derniers n’ont jamais abandonné ce terrain.
C’est à la constitution de caisses de secours mutuels que la classe ouvrière s’est consacrée depuis le développement du capitalisme. C’est ce que tout syndicat doit continuer à faire, à l’exemple de la CFDT qui dispose d’une caisse de grève de 140 millions d’euros (la question : pour en faire quoi ?).
Car il n’y a pas de « caisses de grève magiques », de celles qui pousseraient sur le terreau fertile des mouvement sociaux et permettraient de « raser gratis », grâce à la générosité des non-grévistes de toujours.
C’est l’entraide solidaire, la conscience de classe qui mène à l’adhésion syndicale, qui petit à petit, et tout au long des années, avec une partie de ses cotisations, construit les outils de l’émancipation prolétarienne. Pour tenir la grève et faire fléchir le patronat et l’Etat, il faut donc que l’adversaire perde chaque jour de l’argent… pas les travailleur·euses.
Une caisse de grève qui se constitue chaque mois sur une partie des cotisations syndicales, c’est déjà gagner sur l’Etat qui les finance au 2 tiers (par la déclaration d’impôts)

Par respect pour les salarié.es, la caisse de grève ne doit pas verser d’indemnité de grève inférieur à 50 euros/jours (ce qui correspond au SMIC).

Le syndicat ne peut cependant construire ces outils, sans interroger, de façon permanente, les salarié.es sur les questions liées à la consommation. Nous pensons les travailleur·euses par 2 fois enchainé·es. L’une comme producteur·trices, et l’autre comme consommateur·trices.
De vieux et vielles militant·es racontent que quand iels étaient mômes et qu’il y avait grève, tous, à la maison, mangeaient des pâtes (ou des patates), midi et soir, tout autant que durait la grève. La surconsommation (et le surendettement qui l’accompagne souvent) à laquelle sont enchainé·es de trop nombreux·euses salarié·es peut-elle encore permettre d’envisager ces sacrifices ?

En complément des indemnités de grève, notre syndicat met à disposition la solidarité alimentaire de notre épicerie LA SUB’stantielle qui peut fournir des paniers d’épicerie aux grévistes qui perdraient de trop grandes ressources financières anormalement liées à des primes non perçues.

Pour permettre d’étendre le versement exceptionnel d’indemnités de grève à des non-grévistes qui en feraient la demande (dans le cadre de proximité professionnelle et syndicale), il faut continuer d’abonder la caisse de grève au moment même où elle est le plus sollicité :
• Par le reversement obligatoire de la valeur de leur journée de travail des camarades syndiqué·es non-grévistes,
• Par la mise en place d’une souscription permanente,
• Par la mise à disposition de tirelire sur les manifs,
• Par la vente de produits consommables (boisons, stickers, …) lors des manifs.

La bonne tenue de notre caisse de grève nous permet d’indemniser aussi, lors des journées nationales de grèves, nos camarades chômeur·euses et apprenti·es en dessous du SMIC, et nos camarades sans -papiers, sans emploi et sans indemnités. Un acte de solidarité qui intègre, à la lutte, les travailleur·euses hors emploi que leur situation exclue souvent, et appauvrit.

2/ RENDRE LA GREVE VICTORIEUSE
Seuls 21 % des Français estimaient, dès le début du mouvement, qu’Emmanuel Macron et son gouvernement, face aux mouvements sociaux, finiraient par abandonner la réforme des retraites. L’échec du mouvement ne peut que renforcer ce sentiment général.
Il nous faut lutter contre ce défaitisme qui est le résultat de plusieurs décennies de défaites sociales de notre camp. Ce sentiment doit paradoxalement nous permettre, de favoriser l’entrée dans la grève de nombreu·ses salarié·es.
S’il est possible que l’on perde au niveau global, on peut gagner au niveau local.
Il nous faut expliquer qu’en associant une (ou plusieurs) revendication à l’échelle de l’entreprise (revalorisation des salaires, amélioration des conditions de travail, …), on peut, en profitant du mouvement global, et de son effervescence, remporter une victoire locale qui améliore de façon immédiate la situation de chacun·e. C’est ce qu’ont fait, par exemple, les éboueurs lors de ce mouvement.
A tou·tes les salarié·es qui pensent et disent qu’iels ne se sentent pas concernés par cette réforme (« La retraite, on n’en aura pas ») et que de toute façon le gouvernement ne reculera pas, on donne un espoir pour agir sur une revendication dont iels verront le résultat immédiat.
Il nous faut gagner, si ce n’est sur le global, au moins sur le local.

3/ RENDRE LA GREVE POSSIBLE DANS LES ENTREPRISES
A/ « Ça ne sert à rien que je fasse grève, je ne bloque rien »
Il faut d’abord convaincre tous·tes les salarié·es que leur action gréviste participe au blocage de l’économie. Combien de fois en effet n’entend ton pas : « Ça ne sert à rien que je fasse grève, je ne bloque rien »
D’abord, il y des secteurs (rarement en grève) qui ont un impact bien plus grand que leurs salarié·es peuvent le penser.
Par exemple, si tous les secteurs de la petite enfance (crèches, maternelles, centres de loisirs, …) se mettent en grève ça bloque déjà la moitié des parents qui travaillent (et aller faire du télétravail, a la maison, avec un enfant de moins de 6 ans !).
Ensuite, tout·e salarié·e est un producteur·trice de valeur et à se titre enrichit son employeur (même dans les TPE). Réduire la production, c’est mettre son employeur dans une situation délicate dont il voudra rapidement sortir, par la négociation.

B/ Avoir des revendications ambitieuses, mais atteignables
Dans ce temps d’inflation et de NAO les revendications salariales sont d’évidence.
Voici quelques rappels de procédure de négociation.
• En matière salariale il est important de demander des augmentations générales des salaires de base et non des augmentations individuelles et des primes non soumises à cotisation sociales et donc non prise sen en compte pour le calcul des droits (sécu, retraite, chômage),
• Il est aussi préférable de demander un montant d’augmentation uniforme plutôt qu’un % qui favorise les plus gros salaires,
• Enfin une clause de revoyure pour réduire le délai avant les prochaines augmentations dans un contexte où les augmentations obtenues peuvent être rattrapées par l’inflation en seulement quelques mois.

C/ Avoir une stratégie adaptée
On a trop souvent tendance à penser qu’une grève doit être majoritaire.
Si elle doit être massive, par l’accord d’un maximum de salarié·es, elle doit être d’abord tactique.
Si la stratégie est de faire perdre de la productivité en évitant que les salarié·es se mettent dans des difficultés financières, il est préférable (quand c’est possible) d’envisager une grève tournante (3) qui mettent successivement en grève différents services (équipe de nuit, service comptable, expédition, …), limite donc les pertes de salaires pour l’ensemble des salarié·es et peut donc durer le temps nécessaire pour la victoire.

D/ Avoir un fonctionnement démocratique
• Avec l’organisation d’une AG quotidienne qui vote les conditions de poursuite du conflit,
• Avec la mise en place d’un comité de grève tournant, non décisionnaire, renouvelé chaque jour comme représentant du mouvement (ce qui ne pourra que déstabiliser la direction de l’entreprise et l’amener plus rapidement à un accord).

4/ MOBILISER LE MOUVEMENT DANS LES PERIODES DE BASSE INTENSITE
On vit, lors de ces mouvements nationaux, une succession de journées « saute-mouton » hebdomadaires, séparées par des périodes de « basse intensité » militante.
Les équipes militantes doivent donc se saisir de ces moments pour organiser son déploiement syndical de terrain.

A/ Soutenir les grèves locales
Dans ces moments de basse intensité nationale, notre syndicat doit bien évidemment apporter tout soutien logistique nécessaire pour équiper animer et ravitailler les piquets de grève (4) des entreprises en lutte.

B/ Réactiver ses réseaux syndicaux
Internes
En participant à la vie interprofessionnelle de la Confédération.
Externes
En invitant les autres organisations syndicales de la même industrie à se rencontrer.

Attention cependant à un investissement qui pourrait s’avérer vain dans la participation à des AG dites interpro ou de villes où s’inventent souvent des « déléguées » issues d’AG squelettiques et des coordinations tout aussi hors sol, pratiques communes de certains groupes néo-léninistes qui tentent de prendre en main le mouvement social. Il faut y participer, quand on dispose des forces suffisantes, en restant lucides sur leurs limites et seulement si elles regroupent des déléguées d’entreprises du BTP dûment mandatées.

C/ Aller sur le terrain
En organisant des roulantes pour faire le tour des chantiers
En proposant la tenue d’une AG hebdomadaire du Collectif d’Action et de Mobilisation du BTP, pouvant se combiner avec une cantine solidaire et la remise des paniers d’épicerie de soutien alimentaire de grève.

5/ PORTER FERMEMENT LE PROJET AUTOGESTIONNAIRE
Il faut affirmer et rappeler la valeur et les principes autogestionnaires des projets mutualistes des caisses maladie, chômage et retraite portés par la classe ouvrière, dont la revendication première est qu’elles soient administrées exclusivement par les mandatées salariées sans le patronat ni l’Etat. Les cotisations sociales étant le fruit du travail elles appartiennent aux travailleurs
Combattre l’Etat pour le vaincre.

Notes
(1) Une grève du zèle consiste à exécuter le travail en appliquant à la lettre tous les règlements, afin d’en ralentir le plus possible l’exécution.
(2) Une grève perlée est une succession concertée d’arrêts de travail de courte durée ou de ralentissements de l’activité d’une entreprise affectant sa production. Ce type d’action, qui n’est pas une grève au sens de la loi, est illégal en France.
(3) Une grève tournante affecte successivement les différents ateliers d’une usine ou services d’une entreprise de telle sorte que les effectifs ne soient jamais au complet et que les pertes de salaire ne soient pas trop importantes.
(4) Un piquet de grève est un groupe de grévistes installés à l’entrée d’un lieu de travail