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Management participatif 2 : Le SWOT à la poubelle

Gaspillage d’intelligences

jeudi 29 octobre 2015, par Section CNT-SUB-EAL

2ème volet de remise en cause du management participatif.

Rappel du contexte : Dans le cadre d’une réforme stratégique [1] de la direction régionale, des groupes de travail sont sommés dans une démarche de "management participatif" de réfléchir à des projets de service locaux. Le but non avoué est d’accompagner la réduction d’effectif en trouvant des services à fermer. Nous avons recadré la stratégie générale de cette méthode, nous remettons cette fois en cause la méthode utilisée au plus proche du terrain et imposée aux participants : le SWOT.

La stratégie d’entreprise appliquée à l’administration est-elle indépassable ?

Le service public est désormais pensé à travers le prisme de l’entreprise privée. C’est un choix idéologique que notre syndicat ne partage pas. Pour nous, l’administration n’a pas vocation à devenir la pale copie d’une entreprise. Les objectifs ne sont pas les mêmes. Les personnels n’aspirent pas aux mêmes valeurs.

  • Une entreprise a pour but de consolider ses bénéfices en vue d’assurer sa survie. Et l’enrôlement des personnels privés se fait surtout au nom de cette survie et de la préservation du cadre de vie individuel.
  • Une administration a pour but d’assurer la réussite de missions de service public. Et l’enrôlement des personnels publics se fait surtout sur la notion du travail utile à la collectivité.

Ces deux enrôlements n’ont rien de commun. C’est pourquoi les stratégies d’entreprise ne peuvent convenir à gérer les agentes et agents de l’administration.

Une stratégie de service de l’État ou d’une entreprise ne peut reposer que sur la prise en compte des aspirations profondes des personnels qui sont la vraie richesse des structures de travail. Appliquer des techniques pour susciter la motivation à des personnels publics qui ont été déchus par l’administration de leur motivation initiale n’a pas de sens. La réflexion sur l’avenir de nos services doit partir de la recherche sincère des facteurs de cette démotivation, même si ceux-ci ne sont pas faciles à entendre par ceux qui en sont responsables.

Le LCAG, la plus inadaptée des écoles stratégiques

Le LCAG datant des années 60 repose sur un modèle d’évaluation interne et externe (effectuée par l’outil FFOM en français, SWOT en anglais, Force / faiblesse en compréhensible).

Ce modèle, né dans la situation économique de croissance américaine de l’après seconde guerre mondiale, se basait sur la rationalité de la production, dans un environnement stable menant à la prise de décision par le PDG d’entreprise, seul décideur final. Seulement, à l’heure actuelle, faute d’un environnement stable et contrôlable, les choix faits ne sont pas rationnels mais influencés par l’intérêt personnel des PDG et immédiat des actionnaires. Le LCAG, inadapté à notre époque est obsolète.

De plus, si le PDG d’une entreprise privée a le pouvoir de décider du cœur de sa production, le directeur d’administration n’a pas la faculté de trier les missions qui lui sont confiées par le pouvoir politique. Les prises de décisions ne procèdent pas des mêmes logiques dans le privé et dans le public.

Le modèle LCAG n’est donc pas opérationnel dans l’administration (et plus non plus dans le privé). C’est une réflexion « sans mains » parfaitement inutile. Quand le problème est mal posé, la solution ne peut être bonne. Nous avons déjà l’exemple de l’échec de cette école stratégique de la conception [2] appliquée à notre direction.

C’est cette stratégie qui était le moteur du premier DOS. Nous assistons à la répétition mot à mot de cette erreur standardisée dans sa révision. La dégradation des conditions de travail de notre direction régionale ont été accélérées par le DOS précédent.

Cette citation d’Albert Einstein est un parfait résumé de la situation :
« La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique : rien ne fonctionne... et personne ne sait pourquoi ! »

Il existe d’autres écoles stratégiques comme l’école cognitive (avoir au préalable une vision claire du but à accomplir pour pouvoir guider l’action) ou celle de l’apprentissage (les stratégies ne sont pas le résultat d’un plan préalable mais s’élaborent par ajustements successifs à mesure que les décisions internes et événements externes s’ajoutent pour créer un consensus qui n’était pas prévu au départ. Gérer dans cette perspective ne veut pas dire pré-concevoir les stratégies mais reconnaître les dynamismes qui peuvent contribuer au but ).

Le choix d’une stratégie adaptée à l’intérêt public et aux aspirations des agentes et agents est un préalable à la réussite d’un projet de service.

À défaut de volonté de développer une stratégie originale, le moindre mal serait d’essayer de mixer les meilleurs morceaux du cognitif et de l’apprentissage.
Or ce choix nécessite d’interroger les fonctions de décision de la direction régionale qui sont cause d’échec de l’organisation du travail. Cette question est totalement mise de côté dans la méthode de travail proposée.

Dans cette réorganisation participative, on est supposé parler de tout, mais pas vraiment de tout...

SWOT, l’outil du « Stupid Way Of Thinking [3] »

Pratiquement, les agentes et agents sont conviés à un exercice autour d’un outil, le SWOT, à la place d’une véritable réflexion stratégique.

Avec le SWOT (Stupid Way Of Thinking), le processus de pensée est inversé.

La question que nous devrions nous poser est :

  • quelle est la mission et quels seront les atouts et les compétences que nous devons développer afin de bien l’accomplir ?

On nous sert à la place :

  • comment sommes nous et quelles missions pouvons nous remplir ?

Les participants aux groupes de travail vont passer beaucoup trop de temps à faire une liste d’épicerie des « forces et des faiblesses » de notre structure alors qu’on n’a aucune idée de la forme qu’aura la stratégie déclinée dans révision du DOS.

Le danger est que l’on se gonfle le torse avec nos 678 forces et que l’on se démotive avec nos 3458 faiblesses alors que la plupart n’interviennent pas dans la réussite et la stratégie.

En 1997, Hill et Westbrook [4] analysaient 50 entreprises anglaises dans la construction de leurs projets stratégiques. 40 % utilisaient le SWOT, aucune n’a pris en compte cette analyse (Stupid Waste of Time [5]) dans la conception de son projet stratégique.

Les limites de ce jouet de consultant sont trop nombreuses pour en faire un outil crédible.

Les tabous, non-dits, politesses et références culturelles faussent le recensement s’ils ne sont pas pris en compte. On ne peut se contenter de s’appuyer sur des faits comme suggéré dans les groupes de travail de notre direction régionale. La subjectivité a une place réelle dans le travail. C’est notre imagination qui trouve des solutions, pas des compilations de faits.

La subjectivité intervient de toutes façons dans l’interprétation du résultat de la méthode SWOT (cf. les manuels de stratégies critiques qui développent ce sujet, dont le détournement de l’acronyme SWOT est extrait).

On se raconte des histoires et on passe à côté de l’essentiel avec le SWOT
(Superficial Work of Team [6]).

Qu’on nous le ressorte lors de la révision pour produire un clone du premier document "stratégique" est un manque évidant d’ambition dans la réflexion sur la mission de service public de nos directeurs.

« On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré » disait aussi Albert Einstein.

Au lieu de rechercher l’efficacité pour la réussite de nos missions, on nous propose d’accompagner leur échec par l’efficience. Notre section syndicale pose donc la question de l’augmentation des moyens dans notre direction régionale pour tenir nos missions.

Actuellement, ce sont les agentes et agents qui seuls fournissent l’effort dans nos services, parfois au prix de leur santé. Les choix organisationnels génèrent des maladies professionnelles. Notre section syndicale travaille à ce que ces problèmes professionnels dus à l’organisation du travail soient reconnus comme accidents de travail.

Là encore, on est supposé parler de tout, mais pas vraiment de tout...


[1appelée "DOS : Document d’Orientation Stratégique"

[2Définition Henry Mintzberg - Safari en pays stratégie

[3La façon de penser stupide.

[4T Hill and Roy Westbrook (1997). SWOT analysis. It’s time for a product recall.

[5Gaspillage de temps stupide

[6Le travail superficiel des équipes