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Environnement ou Écologie ?

jeudi 2 juin 2016, par SUB-TP-BAM RP

Sur l’importance que l’on accorde à tort ou à raison aux mots.

Le changement d’intitulé du ministère de « l ’écologie » en ministère « de l’environnement » a été commenté dans la presse et nos services. La ministre elle-même, Ségolène Royale, a justifié ce changement comme une clarification « L’environnement, c’est beaucoup plus large que l’écologie, cela englobe toutes les relations entre l’humain et son espace ». [1]

Dans un article du site d’information Reporterre qui se veut « libre et indépendant » [2], Hervé Kempf analyse ce retour (comme à l’avant 2002) comme « un changement de perspective, de philosophie, et en fait une véritable régression » [3]. Cette analyse est plutôt partagée dans une interview de la revue TerraEco [4] qui analyse le choix du terme « environnement » comme « plus neutre » et « dépolitisant » l’action gouvernementale, qui adopterait davantage une « vision gestionnaire au sein d’une économie de marché ». Doit-on alors s’en inquiéter ?

Revenons un peu à l’étymologie. C’est un peu basique comme démarche mais ça fonctionne souvent.

« Écologie » vient du grec oikos (maison, habitat) et logos (science, discours). C’est donc initialement la science des habitats et des interactions entre les êtres vivants (à différentes échelles : molécules, organismes, populations, écosystèmes). L’environnement, désigne l’ensemble des éléments (biotiques ou abiotiques = vivants et non-vivants) qui entourent un organisme et interagissent avec lui. Souvent on parle de « sciences de l’environnement » pour inclure à la fois l’écologie et d’autres disciplines (climatologie, géographie, géologie, agronomie, parfois même sociologie et économie…). On voit déjà là une différence : L’écologie est un sujet (elle étudie et discute) quand l’environnement est un objet (il est étudié et discuté). Et manifestement l’environnement englobe effectivement « quelque chose de plus large ».

Mais l’écologie désigne aussi autre chose qu’une science avec « l’écologie politique ». C’est à dire un projet politique où l’humanité ne porterait pas ou peu atteinte aux écosystèmes et s’articulerait autours de cette question. C’est « l’idée que l’homme ne peut s’isoler, ne doit pas avoir un rapport uniquement utilitaire avec son environnement, mais rétablir une relation nouvelle avec un monde dont il est un élément essentiel mais pas central. » nous dit Kempf.

L’écologie politique s’est développée avec l’essor de l’écologie scientifique, des questions et des crises que cette dernière a soulevée. Elle a été portée à ses débuts par débuts par nombre d’agronomes et d’écologues, botanistes, amoureux des petites bêtes et défenseurs des grands espaces. La collusion de ces deux univers (scientifiques et politiques) est donc bien réelle. Dans les services scientifiques et techniques de notre ministère, nous sommes nombreux à nous intéresser à la fois à l’écologie comme objet d’étude et comme objet politique et à nous accommoder de ce double sens. Mais c’est une position assez franco-française.

Si l’on regarde ailleurs.

On constatera que là l’écologie est une science, ou éventuellement un mouvement politique, mais fait très rarement l’objet d’un ministère : à part (d’après une rapide recherche internet) l’Ukraine et l’Azerbaïdjan (ainsi qu’un ministère régional argentin), les autres pays du monde ont un ministère « de l’environnement » et non de « l’écologie ». Dans la plupart des pays anglophones et hispanophones, une association ou un journal traitant « d’écologie » parlera plutôt de sciences que d’un courant politique ou de politiques publiques. De même la plupart des organisations écologistes (ONG, partis) préféreront se qualifier de « verts » que d’ « écologistes » (seuls 7 partis « écologistes » contre 31 « verts » sur les 40 que compte la fédération européenne).

Dans le monde anglophone, le terme d’ « ecology » quand il est utilisé en politique l’est souvent dans des cadres faisant appel aux notions d’écologie en tant que science, établissant des liens entre les composantes de la biosphère et plaçant l’action politique parmi d’autres interactions au sein des écosystèmes. C’est le cas par exemple de la « Deep Ecology » (« Écologie profonde », considérant qu’il ne doit pas y avoir de supériorité de l’espèce humaine sur les autres) ou la « Social Ecology » de Murray Boochkin qui définit sa critique du capitalisme à partir de la critique des conséquences désastreuses (sur la biosphère et l’humanité) du productivisme capitaliste.

Même si ça n’est pas exclusif, la subtile confusion entre écologie-science/écologie-mouvement politique/écologie-politique publique est donc assez française (et au-delà plutôt francophone). Comme pour la notion de « développement durable » qui a été préférée à celle de « développement soutenable », l’exception hexagonale est donc peut-être plus linguistique que pratique.

On pourrait alors se demander si un ministère « de l’écologie » est une si bonne idée ?

S’il ne s’agit que d’afficher une volonté et des valeurs à travers une dénomination institutionnelle, rappelons quelques faits : C’est depuis 2002, sous le gouvernement Rafarin, que le terme « ministère de l’écologie » apparaît. Ce sont donc des ministres « de l’écologie » (ou leurs secrétaires d’État) qui prolongent les vies des centrales nucléaires, subventionnent le diesel, refusent d’interdire les pesticides néonicotinoïdes, soutiennent la construction de l’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes, de la LGV Lyon-Turin, accompagnent la réintroduction d’OGM en Europe et autorisent l’exploration de gaz de schiste, tout en négociant à Bruxelles des quotas de pêches toujours plus élevés que les recommandations des scientifiques. L’amour affiché de l’écologie comme science ou comme principe se fissure comme une cuve de réacteur EPR Bouygues.

Et l’on peut se dire que généralement, quand on délègue un ministère à une « cause », c’est qu’on compte bien s’asseoir dessus : ministère du droit des Femmes, de « l’égalité réelle », des « droits de l’Homme ».

En fait il y a bien peu de « régression » contrairement à ce que prophétise Hervé Kempf, car il n’y a pas vraiment eu de « progression » depuis 2002 (ou alors il va falloir nous la préciser !).

Au final, ça ne change donc pas grand-chose que notre ministère soit celui de l’écologie ou de l’environnement. Il restera celui des chefs incompétents, du travail dissimulé, des emplois précaires, du renoncement et de l’accompagnement du capitalisme, y compris désormais sur sa survie aux catastrophes écologiques (la résilience, terme à la mode au sein du ministère).

Si la section EAL de notre syndicat tente à son échelle d’apporter une approche critique et autogestionnaire de notre travail (et de ses conditions d’exercice) au sein de nos services, nous savons qu’une société respectueuse des écosystèmes ne se construira qu’à la condition de la fin du capitalisme. Une société où la production est économe en ressources, définie et décidée collectivement par les travailleurs-euses comme utile et souhaitable. Dans cette société notre expertise sera-t-elle mise au service de commissions autogérées « de l’écologie » ou « de l’environnement » ?

Ou plus encore de la formation professionnelle de tous à l’écologie et l’environnement. Nous l’organisons déjà, nous avons porté la journée de débat sur l’aménagement du grand Paris sur sa nocivité écologique et environnementale. D’ici là nous appliquerons l’adage « C’est reculer que d’être stationnaire. On le devient de trop philosopher » et gardons bien à l’esprit que la discussion (que nous avons finalement alimenté par ce texte) sur un ministère « de l’écologie ou de l’environnement » est une parfaite illustration du « On demande à tous leur avis sur tous les détails, pour mieux leur interdire d’en avoir un sur la totalité » de Raoul Vaneigem [5].


[2Même si ce site est largement relayé et validé dans les sphères militantes, nous ne pouvons mettre de côté certains reproches qui lui ont été fait, tant sur une tribune d’un politicien appelant à livrer des zadistes aux flics que sur les articles promouvant des réseaux réactionnaires comme Michel Collon, Etienne Chouard, Henri Joyeux, Corinne Goujet ou encore des courants « écolo-chrétiens » proche de la « manif pour tous ». « Libre et indépendant » oui, mais de qui et pour quoi faire, serait-on tenté de demander...

[3Reporterre 17.02.16 « Le gouvernement abandonne l’Écologie » Hervé Kempf

[5Banalités de base, Gallimard, 2004.