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Faut-il attendre 30 ans pour déclarer la guerre de classe ?

mardi 18 août 2015, par SUB-TP-BAM RP

La presse s’est dernièrement faite l’écho d’une dépêche AFP qui relatait l’action entreprise, devant les prud’hommes de Bobigny, par un intérimaire qui dit avoir travaillé pendant 30 ans pour l’entreprise Placoplatre, en cumulant plus de 700 contrats Manpower.

L’intérimaire, qui outre Manpower a également assigné le groupe Placoplatre, demande la requalification de ses missions d’intérim en contrat à durée indéterminée.

L’intérêt de la presse ne dépassant pas le simple duplicata de la dépêche AFP, reprise partout, nous allons tenter ici de l’analyser à la lueur de notre flamme syndicaliste révolutionnaire.

Les faits tels qu’ils nous sont relatés.

Les caristes à l’usine Vaujours

Manutentionnaire, puis cariste, ce travailleur d’origine Malienne, de 55 ans aujourd’hui, a réalisé 703 missions de travail temporaire (de 2 jours à plusieurs mois), toujours au profit de Placoplatre, et sur le site de production du groupe de matériaux de construction en Seine-Saint-Denis [1].

Il en a été chassé fin 2013, pour avoir demandé un contrat stable permettant le regroupement familial.

Placoplatre aurait rejeté sa demande, en raison d’une « maîtrise limitée de la langue française ».

Ironie de l’histoire, le salarié a la même ancienneté que le comité d’entreprise Manpower.

Un syndicalisme d’accompagnement.

Un an après son licenciement on retrouve donc ce salarié devant les prud’hommes.

On suppose que pendant plus d’un an ½, son dossier a accumulé la poussière, errant entre différentes permanences associatives et syndicales, allant de rendez-vous reportés à des interlocuteurs peu intéressés.

On peut s’étonner cependant du peu de réactivité des sections syndicales de la société d’intérim comme de l’entreprise utilisatrice. Qu’on donc fait pendant 30 ans les délégués syndicaux de ces entreprises pour un collègue dans une telle situation de précarité ?

Il semble que ce soit FO qui cornaque et fasse mousser l’affaire, avec un délégué syndical central de Manpower (Régis Verbeke) qui plastronne devant la presse, sans mettre plus en question la responsabilité de sa propre organisation.

Loin de plaider lui-même devant le Conseil des prud’hommes, on constate dans la suite de l’article l’intervention d’un avocat (Harold Lafond). Sur une affaire, somme toute assez simple à plaider, et compte tenu de la maîtrise supposée du sujet par un syndicaliste de l’entreprise Manpower, on s’étonne qu’il faille encore que le salarié mette la main à sa poche pour régler un Bavard.

Selon ce même syndicaliste, plusieurs autres intérimaires sont dans des situations comparables mais craignent s’ils saisissent la justice de perdre leur emploi.

Après un tel constat on a deux solutions : retourner se coucher, ou remonter ses manches pour reconstruire une véritable conscience de classe établie sur un réel rapport de force.

Il semble bien, ici encore, que le syndicalisme institutionnel soit atteint de l’apnée du sommeil.

Pour un syndicalisme d’action directe

Sans préjuger de ce qu’en pense le salarié, la dépêche AFP, toute empreinte d’humanisme, nous en dresse, à partir des propos du syndicaliste FO, un portrait post-colonialiste :

« C’était un bon soldat » (...) « Des années, il est resté sans vacances » (...) « il avait simplement demandé à être en CDI » (...) « c’est le genre de personnes qui endurent et ne se plaignent pas »

Si notre syndicat a pour vocation de défendre les intérêts immédiats des travailleurs de notre industrie, cela ne s’entend pas sans l’apprentissage d’une autonomie prolétarienne qui rompt avec les postures victimaires.

Mettre le syndicalisme devant ses responsabilités passe nécessairement par interroger les salariés sur leurs conditions d’exploitation et la tendance que peuvent entretenir certains (nombreux) à la collaboration de classe.

La dignité s’acquiert par la responsabilité des actes qu’on produit.

Quelques soient les difficultés (et elles sont nombreuses) à sortir de sa « condition d’exploitation », le chemin de l’indépendance et de l’autonomie passe par un apprentissage continu (professionnel, syndical, social, et personnel), qui nécessite une prise en charge individuelle au sein du collectif syndical.

  • Ce n’est pas au bout de 30 ans qu’on réclame un CDI, car sinon au delà de sa propre exploitation on fait perdurer un système général
  • On ne peut rester 30 ans dans un pays sans en connaître la langue (écrite et parlée), car sinon on se condamne à subir une domination dont on ne comprend pas les codes.
  • On ne reste pas isolé face à l’exploitation capitaliste, car la défense de ses propres intérêts passe par la construction d’un rapport de force qui nécessite la mutualisation des moyens de la lutte.

Pour tout cela le syndicat du bâtiment de la CNT-f en Ile-de-France propose de nombreux outils (sections syndicales d’entreprises, bureau de placement, permanence juridique, cours d’alphabétisation, commission logement, formation professionnelle et syndicale, …)

Au syndicat, même victime d’injustices, on est un travailleur qui se bat pour sa dignité !

Point de droit

Selon le Code du travail, le contrat d’intérim, « quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ».

Nous invitons tous les travailleurs intérimaires d’Ile-de-France à venir visiter notre permanence syndicale afin de construire les armes de leur libération.


[1L’usine placoplatre de Vaujour (93) est le premier centre mondial plâtrier employant 400 salariés et 3000 sous-traitants.