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Le Gueulard, les PIRL et l’accident de travail

lundi 8 décembre 2014, par SUB-TP-BAM RP

Un curieux "collectif", du nom de NIPIRLNIGAZELLE [1], est apparu au mois de septembre sur Facebook émanant de la CNT-AIT Toulouse (un groupe se réclamant de l’anarcho-syndicalisme).

Si nous trouvons quelque intérêt à revenir sur ce sujet, c’est qu’il nous semble symptomatique du type de gueulard que nous connaissons bien sur nos chantiers et d’une forme de syndicalisme qui considérerait que le soutenir soit la preuve d’une immersion dans le milieu.

Le gueulard de chantier, c’est celui dont la voix porte et revendique … quand le patron n’est pas là. Ah ça ! Il a tant « des cojones » le gaillard, qu’on à même l’impression qu’elles lui servent d’amygdales. En un mot, mais c’est là déjà trop résumer sa logorrhée, il a un avis sur tout, et comme il aime s’entendre et qu’on l’écoute, son propos dérape rapidement. D’un fait, il tire une conclusion … qui malheureusement se révèle rapidement faire le jeu de l’exploiteur.

Il en va ainsi, à notre avis, de l’article de la CNT-AIT Toulouse sur lequel nous revenons ici.

L’article aborde la question des « PIRL (Plate-formes individuelles roulantes légères), également appelées «  Gazelles  », du nom d’un de leur fabriquant. »

Le rédacteur de cet article commence en utilisant des formes d’expressions insinuant le doute (comme aiment à le faire les complotistes) sur la volonté et l’intérêt de tels équipements (« l’idée peut paraître louable », « accidents relativement fréquents », etc).

Dans une industrie ou la santé et la sécurité des travailleurs est un problème majeur on ne peut qu’être surpris par un tel préambule.

L’article nous dit, ensuite, pourquoi un chantier de bâtiment rendrait impropre l’utilisation de ces équipement de sécurité : « ce sont des surfaces inachevées (et donc pas lisses), des matériaux entassés en attente d’être posés, des tas de déchets pas encore évacués, des cloisons, des étages, des hauteurs variables… ». Qui ne conviendrait des arguments de ce descriptif ?

On pourrait même ajouter à cette description : sale, poussiéreux, froid, humide ou suffoquant suivant les saisons …

Mais à quel moment, le témoin, qu’on nous cite, imagine-t-il que ce pourrait être différent ?
Jamais.

Y-aurait-il une impossibilité d’organiser les chantiers d’une manière différente ? De les alimenter en matériaux sans en faire des obstacles à l’avancement ? D’évacuer les déchets au fur-et-à-mesure ? De faire se succéder des métiers sans se gêner ?

Le gueulard de chantier ne voit qu’à deux pas l’obstacle qui l’entrave mais pas une organisation du travail qui le placerait sur le chemin de l’autogestion, que, d’une certaine manière, il identifie ici « au monde de Walt Disney ».

Aux questions de : pourquoi tant, encore, de manutention manuelle sur les chantiers ? Pourquoi des espaces de repos et de travail sales ? Pourquoi des métiers en perpétuels conflits et concurrences ? Cet article ne répond pas, et pourtant !

Une bête de somme ne se révolte pas, la saleté est une forme de condition avilissante, et les chiens qui s’entredéchirent dans le chenil ne mordent pas le maître.

Le gueulard ne demande rien (d’ailleurs jamais rien !).

On lui impose (« Lors de l’arrivée des PIRL »).

Pour éviter les accidents qu’il constate tous les jours sur le chantier, le gueulard pense que c’est une question de chance et d’habileté … tant pis pour celui qui chute. Car ce dernier pense d’abord et toujours à sa gueule.

La sécurité il ne l’a donc pas demandé. Ni lui ni les autres (« avec tous les autres ») ne réclament, mais se contentent d’une opposition sourde (« on a un peu « feinté »). Parce qu’il ne faut pas croire, le gueulard est un malin, exploité, méprisé et dévalué à longueur d’année, mais à qui on ne la fait pas !

Le gueulard à des couilles en béton, peur de rien, et considère que le risque faisant partie du métier (non de la course au profit pour l’employeur), la sécurité des travailleur est un effet de « mode ».

« il y a quasiment unanimité sur le fait que les PIRL nous pourrissent la vie  », nous dit-il.

Celui qui pourrait croire que c’est bien plutôt le salariat qui pourrit la vie, n’a qu’a fermer son clapet.

A aucun moment le gueulard ne pense que la sécurité dans le travail doit être le premier élément déterminant le mode de production, sur le principe assez simple de ne pas perdre sa vie à la gagner. Il adapte sa sécurité aux exigences du patronat : à celle de la rentabilité : « on est obligé de réaliser souvent des manœuvres acrobatiques pour travailler. Et si de telles positions ne posent aucun problème aux « enfants de la balle », pour les autres en revanche cela peut se révéler assez périlleux... », aux cadences infernales (« des gars qui galopent car il faut travailler vite, vite, toujours plus vite. ») qu’il fait semblant de contester.

Quand le gueulard rencontre l’oreille attentive du « syndicalisme » démagogique il se transforme en Braillard. S’il reste le gueulard qu’on connait, il a maintenant une carte syndicale. Mais son propos demeure identique : machiste, individualiste et réactionnaire.

Son mode d’action : gueuler ; le résultat collectif : 0.

Si le braillard ne tardera pas à quitter le syndicat, proclamant que les ouvriers sont tous des cons, ce sera pour rejoindre la cohorte des petits entrepreneurs prêts à tout pour exploiter son prochain. Mais ici comme là-bas, Gueulard, il restera.

Quand il est électricien (noble parmi la piétaille de chantier), il réclame des « transporteurs de plateformes », revendiquant ainsi une division du travail et une sous qualification qui plait tant au patronat.

Quand il se compare, pour s’y opposer, à l’ouvrier de la chaîne d’une usine d’assemblage, le gueulard se découvre une : « obligation de résultat » , confondant sa fonction de salarié avec le marché de son employeur. Car si, en effet, son patron a bien une obligation de résultat, le travailleur mensualisé n’est pas à la tache, ce que le syndicalisme a gagné de haute lutte contre un patronat qui par tout les moyens tente de le rétablir.

Quand un salarié déclare « on est à la bourre » et les PIRL « nous mettent dedans  », il confond bien évidemment ses intérêts (à commencer par son intégrité physique et morale) avec ceux de son employeur. Dans le syndicalisme révolutionnaire cela porte un nom : La collaboration de classe.

«  Pour une opération qui durait 20 secondes avec un escabeau normal, on passe ici, cumulé à deux, plus d’une quart d’heure. Et puis 5 minutes après, c’est mon collègue qui viendrait me trouver pour l’aider à déplacer sa PIRL !!! A la fin de la journée, on n’aura plus fait que ça.  ». On dirait la prose du premier artisan venu, tâcheron, loueur sans scrupule de viande sur pied. Les patrons ne geignent-ils pas de la même façon en ce moment pour mettre en œuvre le compte pénibilité ?

Bien que le gueulard professe souvent un anti-intellectualisme de comptoir, quand il se compare … c’est au chirurgien, comme si ce dernier n’avait pas besoin d’une équipe pour opérer.

Alors que le code du travail indique qu’« il est interdit d’utiliser les échelles, escabeaux et marchepieds comme poste de travail » (article R. 4323-63), les salariés sont sommés par ce collectif de frauder le code du travail pour assurer la cadence patronale. Une action syndicale est exactement l’inverse.

Les échelles, escabeaux et marchepieds sont à considérer comme des équipements de travail permettant un moyen d’accès provisoire en hauteur, et non pas comme un poste de travail. En terme d’accident, pour 2010, c’est 6211 arrêt de travail, 776 handicapés, 4 morts, uniquement pour les échelles et escabeaux sur les chantiers.

La PIRL est une évolution de l’escabeau, ayant pour but final de fournir un réel poste de travail sur lequel on va se tenir par séquences de plusieurs minutes ou heures par jour. Elle est sécurisée et constituée du plateau + garde-corps et sa hauteur s’adapte au travail à réaliser, contrairement à l’escabeau, aux marches étroites, au plateau minuscule, à la taille fixe et toujours inadaptée.

La sécurité de la PIRL va de pair avec une réelle organisation du chantier, permettant un état optimal de dégagement et de propreté des différentes zones de travail.

PIRL sur le chantier syndical du SUB

Mais que vient faire alors, dans cette galère, une organisation se disant syndicale et révolutionnaire ?

A l’écoute de ces jérémiades elle décrète que : « ces ouvriers ont conscience de l’aggravation de leurs conditions de travail, et qu’il reste maintenant à ce qu’ils prennent conscience que la résignation doit faire place à la lutte. »

Si par le texte qui précède, nous avons tenté de montrer que loin d’une prise de conscience la posture du Gueulard ne fait qu’apporter de l’eau au moulin des patrons, analysons ici succinctement la liste des revendications émises, dans le même article, par cette organisation :

  • « La réduction des cadences … … serait un mirage ».

Nous affirme-t-on ici, car le fait d’obtenir une négociation sur cette question obligerait à un travail continu pour la maintenir. Il semble ici que cette organisation découvre les conditions de la lutte de classes… pour la trouver bien trop contraignante !

Comme si le travail entrepris dès 1895 par les syndicalistes révolutionnaires pour définir : les temps de travail, les grèves perlés, le label syndical, etc n’avait jamais existé.

On constate donc que cette première « revendication » n’en est pas une.

  • « revenir aux escabeaux « à l’ancienne » qui, quand ils sont de qualité et correctement entretenus, sont eux aussi très stables. »

Malgré l’ensemble des études réalisées, la comparaison même des matériels, cette organisation relaie les propos des franges les plus arriérés de l’industrie rêvant d’un retour vers un passé fantasmé et au conditionnel. Alors que la stabilité d’un escabeau placé sur un sol encombré est loin d’être idéale.

Cette seconde « revendication » faisant fi du nombre d’accident et d’arrêts de travail demande un retour en arrière.

  • exiger que les PIRL soient fabriquées avec des matériaux plus légers.

La forme de cette « revendication » est particulièrement curieuse. Comment dans une entreprise de bâtiment, EXIGER qu’une autre entreprise fabrique de l’outillage dans un alliage plus léger ? Ce mode de syndicalisme interprofessionnel est à n’en pas douter une première.

  • si les patrons ne veulent pas mettre le prix dans des PIRL utilisables, nous pouvons exiger l’application du principe « A chaque PIRL son porteur ».

Comme nous le soulevions plus haut, cette revendication manque de précision. Dans la division du travail que nous contestons, cette demande n’accentue-t-elle pas la dévalorisation de certains travailleurs dont la fonction ne serait que celle de bête de somme, elle aussi évoquée plus haut ? D’ailleurs, il n’est pas beaucoup plus facile de déplacer un escabeau dans un même espace, dès qu’il commence à atteindre un certain poids lié au nombre de marches.

  • exiger une prime de pénibilité,

Il en va des primes, comme de ce qui précède. Le syndicalisme s’est depuis longtemps prononcé sur un mode de rémunération individualisée, à la discrétion de l’employeur, n’entrant pas dans le calcul des prestations sociales, …

Quand cet article ajoute : « une compensation financière conséquente qui pousse le patron à rechercher une véritable solution. », on s’interroge sur les formes de « dialogue social » envisagé par ces « syndicalistes ».

Le matériel de propagande proposé est à l’avenant.

Si les autocollants sont rouges et noirs, les textes sont confondants :

  • Sur l’un : « Ni Pirl ni Gazelles » laisse entendre qu’il faut revenir aux escabeaux branlants
  • Sur l’autre : « Ils veulent des PIRL qu’ils les portent », abandonne la question de la sécurité aux employeurs.
  • Sur les troisième et quatrième : « Les gazelles nous rendent le travail pénible, demandons une prime de pénibilité », « Les Pirl nous rendent le travail pénible, demandons une prime de pénibilité », on n’exige même plus : on demande simplement, et l’on déclare que ce serait la sécurité et non le travail qui serait pénible.

Pour le SUB, Il est possible de travailler autrement

Il est possible d’organiser les chantiers pour qu’ils soient plus surs et plus efficaces, d’utiliser les PIRL et les autres équipements de protection à leur maximum de sécurité. Le SUB en fait la formation sur ses chantiers syndicaux. Les camarades syndiqués apprennent entre eux, comment on peut travailler dans les meilleures conditions. Nous devons refuser ces situations de travail en isolement (travailleurs isolés répartis à différents endroits du chantier, surtout pour une grande partie des tâches du second œuvre), situations qui en plus de réduire la sécurité, empêchent la solidarité entre les travailleurs.

L’amélioration du travail passe par l’apprentissage et la compréhension de la globalité du chantier par tous et pas par le claquement de bec d’une ou deux grandes gueules. Ces mêmes gueulards se plaignaient du casque puis des masques en leurs temps.

Nous serons amenés à gérer les chantiers dans une société autogérées. Nous y formons l’ensemble de nos adhérents et l’usage des équipements de sécurité est la première et plus essentielle leçon de cette formation.

Loin de nous l’idée de laisser penser, que dans les conditions actuelles de travail, ces équipements soient la panacée. Quel que soit le moyen de travail en hauteur, le risque de chute existe. Mais les employeurs qui sont soumis à respecter une réglementation, déjà bien trop laxiste, ne demandent que la « complicité » des travailleurs pour refuser ces équipements qui « retardent » la productivité de leurs entreprises, et comme c’est dit, pour une fois avec justesse dans l’article, n’attendent que de pouvoir défausser leur responsabilité sur les travailleurs accidentés. Nous ne devons pas offrir de bénéfices supplémentaires au patronat ou aux actionnaires, au mépris de nos vies.

Nous disons, profitons de cette occasion pour :

  • Faire valoir notre droit de retrait,
  • Refuser les conditions dégradantes que nous vivons sur les chantiers, la propreté d’un chantier est une amélioration des conditions de sécurité.
  • Exiger la prévention la plus stricte pour empêcher tout type d’accident,
  • Discuter de l’organisation des chantiers et particulièrement ici des engins de manutentions,
  • Contester les cadences, les modes de production, la division du travail, les oppositions créées de toutes pièces entre les différentes corporations…

Ni les gueulards, ni les braillards ne sont l’avenir de la lutte des classes.

Les organisations qui par démagogie leurs offre un écho deviennent ainsi les relais de la parole des contremaîtres et du patronat qui nous exploitent.

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