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Parution de l’ouvrage "L’Écran Rouge" : syndicalisme et cinéma, une histoire collective
vendredi 8 juin 2018, par
Les Éditions de l’Atelier ont publié le 17 mai dernier "L’Écran Rouge - Syndicalisme et cinéma de Gabin à Belmondo".
Tout d’abord, rappelons que les Éditions de l’Atelier, maison d’édition depuis 1929 située à Ivry-sur-Seine, publient notamment le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social, et divers ouvrage d’histoire sociale. "Mai 68 par celles et ceux qui l’ont vécu" est par exemple l’un des derniers en date.
"L’Ecran Rouge - Syndicalisme et cinéma de Gabin à Belmondo" revient sur les nombreux combats syndicaux menés des années trente aux années soixante qui ont permis un cadre favorable à l’émergence d’un des premiers cinémas au monde et le rayonnement du cinéma français. L’ouvrage, coordonné par Tangui Perron, chargé du patrimoine à l’association Périphérie située en Seine-Saint-Denis, revient en textes et en images sur ces divers engagements et l’enfance méconnue du cinéma français.
Pour notre syndicat du bâtiment et des travaux publics, c’est l’occasion d’en apprendre toujours plus sur notre histoire sociale et de mettre en lumière le rôle des syndicats dans l’émergence d’une production cinématographique et d’une culture populaire ouvrière.
Montrer au peuple son histoire
L’ouvrage revient par exemple sur "Les Bâtisseurs", film produit par la Fédération du Bâtiment de la CGT réunifiée en 1938. Ce film s’inscrit dans la trilogie syndicale "Sur les routes d’acier" / "Les Bâtisseurs" / "Les Métallos", films produits par des organisations de la CGT pendant le Front Populaire. "Les Bâtisseurs", "monument cinématographique" réalisé par Jean Epstein, ode aux travailleur.se.s du bois, de la pierre et du métal, "aux bâtisseurs", est tant un hommage aux travailleur.se.s qui ont construit la cathédrale de Chartres (cf les images d’ouvriers courbés dans la boue) et de nombreuses réalisations exemplaires en proche banlieue qu’un hymne à la modernité mise au service des besoins de la population (logements sociaux et grands travaux) [1].
La Fédération du Bâtiment sera justement accusée par l’extrême-droite (en l’occurrence le Parti populaire français collaborationniste de Doriot en 1943 lors des grèves des travailleur.se.s du bâtiment à Lyon) de gaspiller l’argent des travailleur.se.s en ayant contribué aux "Bâtisseurs" pour plus de 240 000 francs, et plus de 20 000 francs à "La Marseillaise", film de Jean Renoir reflet des espoirs du Front Populaire et financé en partie par une souscription publique de la CGT. Reflet de films qui montrent à forger une conscience de classe plutôt qu’une corporation patriote au service du travail.
"L’Écran Rouge - Syndicalisme et cinéma de Gabin à Belmondo" revient également sur "La Relève" réalisé en 1938, face cachée des "Bâtisseurs", selon l’auteur "bande réalisée par des syndicalistes et techniciens communistes avec la complicité de dirigeants unitaires de la Fédération du Bâtiment comme Raymond Péricat". "La Relève" dresse un bilan très critique du gouvernement du Front populaire et lance un appel à la mobilisation pour l’Espagne républicaine : "Ah, pour les congés payés et les 40h, tout le monde était d’accord pour faire grève, mais pour l’Espagne, êtes-vous sûrs d’avoir fait tout ce que vous pouviez faire ? (...) Si vous ne le faites pas aujourd’hui pour l’Espagne, c’est chez vous que vous devrez le faire demain, ne l’oubliez pas ! (...) Demain il sera trop tard.". Ce sont notamment des amateurs adhérents du syndicat du bâtiment CGT qui jouent dans "Les Bâtisseurs" et "La Relève", comme Henri Rose, "chômeur du bâtiment" dans le 1er et jeune volontaire rentrant d’Espagne dans le 2nd. Ou encore Raymond Péricat, figurant dans "La Relève", secrétaire de la Fédération CGT du Bâtiment de 1908 à 1912 et opposé à la guerre de 1914 [2].
Des nouvelles pratiques de ciné populaire
"L’Écran Rouge" revient aussi sur les pratiques de promotion et diffusion de l’art cinématographique par l’éducation populaire. Il explique comment le développement important des ciné-clubs après-guerre, avec l’exemple du ciné-club d’Argenteuil (on pense également à Peuple et Culture ou au ciné-club d’Ivry-sur-Seine, qui aura allié militants communistes et catholiques et dont le 1er directeur de la salle était Roland Dallet, peintre communal et fondateur d’une coopérative intercommunale de construction "Chantier" en 1952 [3]) participe à fédérer syndicalistes, technicien.ne.s du film et culture populaire (même si les ouvrier.ère.s se désengagent progressivement de ces espaces). Revenir sur les espaces de création et diffusion d’une pratique de ciné populaire et les ciné clubs nous paraît d’autant plus important à l’ère de la consommation massive et individuelle d’images numériques. Notre syndicat avait remis au goût du jour cette pratique de ciné club avec le Ciné-SUBVersion, qui avait projeté divers types d’images jusque 2013 sous la bannière : L’important n’est pas toujours ce qu’on regarde, mais comment on le regarde. C’est peut-être l’occasion de relancer ce type d’aventure... qui sait ?
Des techniciennes du film ou syndicalistes femmes au cœur des luttes
Pour poursuivre, "L’Écran Rouge" revient sur la place importante qu’ont eue les techniciennes du film et militantes syndicales injustement oubliées ou restées dans l’ombre d’hommes dans le milieu du cinéma. Les portraits de la monteuse Marguerite Houllé, la critique Michèle Firk (et animatrice du Ciné-Club Action), l’évocation de Lucie Derain (créatrice en 1935 du ciné-club de la femme et critique à Cinémonde) - et l’évocation des femmes cinéphiles Lotte Eisner, Mary Meerson et Marie Epstein (cinéaste qui a notamment réalisé "La Maternelle" en 1933) par Costa-Gavras - qui ont pré-figuré la Cinémathèque française, participent à combler ce manque.
Un Festival construit par des bénévoles syndicalistes
Enfin, "L’Écran Rouge" revient également sur le nouveau départ du Festival de Cannes en 1947 et le rôle des travailleur.se.s bénévoles du bâtiment notamment pour la construction en un temps record du Palais et de ses décors. Cette histoire a été rappelée par une table-ronde organisée lors de l’édition 2018 du Festival.
Un très bel ouvrage, une belle mise en page et une richesse iconographique à mettre entre de nombreuses mains !
Même si Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, a rédigé la postface,
il va falloir un sérieux virage des organisations de travailleur.se.s pour qu’à nouveau, comme le dit Costa-Gavras, "le mouvement syndical se mette à produire des films pour montrer au peuple son histoire".
Visionner les films mentionnés sur le site de Ciné-Archives Fonds audiovisuel du PCF Mouvement ouvrier et démocratique.
Actualités de Périphérie sur leur site
Crédits photo : Ciné Archives, Éditions de l’Atelier et INA
Syndicalisme et cinéma, de Gabin à Belmondo
Coordonné de Tangui Perron
Éditions de l’Atelier - 224 p., 30 €
En librairie
[1] Lire l’article de Tangui Perron consacré à ces 3 films"Les films fédéraux ou la trilogie cégétiste du Front populaire"
[2] Voir notre entretien avec l’historien Eric Aunoble : Du "Grand Soir" à "l’espoir levé à l’Est", comment le mythe révolutionnaire a-t-il perduré ?, qui revient brièvement sur Raymond Péricat
[3] André Destouches, « Vie et mort d’un ciné-club : le ciné-club d’Ivry (1948-1983) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 116-117 | 2011, mis en ligne le 01 janvier 2014, URL : http://journals.openedition.org/chrhc/2387