Accueil > Dossiers du BTP > Grands Projets Inutiles > Du Népal au Qatar, exploitation communautaire sur fond de FIFA corrompue

Du Népal au Qatar, exploitation communautaire sur fond de FIFA corrompue

lundi 7 septembre 2015, par SUB-TP-BAM RP

Depuis le séisme du 25 avril 2014, 10 000 travailleurs népalais travaillant sur les chantiers de la coupe du monde au Qatar ont été empêchés de rentrer au pays pour enterrer leurs morts et venir en aide à leurs familles.

Avec l’attribution de la coupe du monde 2022 à ce pays, les révélations sur le traitement inhumain des ouvriers sur ses chantiers sont quasi quotidiennes et les travailleurs de la construction sur les chantiers de stade payent au prix du sang, le loisir footballistique détaxé. Pour un bon nombre, le retour se fera en cercueil rouge.

Rappatriement des corps de deux travailleurs népalais en provenance du Qatar.

Les sponsors de la coupe du monde commencent à s’interroger sur l’image que ce massacre va renvoyer de leur marque. La réponse que le Qatar leur a apporté, a été de nier les morts de ces ouvriers.

On dit que les népalais succombent du "syndrome de la mort subite" pour ne pas dire qu’ils sont tués à la tâche. Mais l’exploitation sans règle et sans norme n’est pas la seule faucheuse, il ne faut pas oublier le système politique et social du Népal qui y participe.

Les castes au Népal

Le Népal a longtemps été un régime monarchique dictatorial reposant sur un système de castes. Ces castes figent les structures sociales et perpétuent l’exploitation des travailleurs par la bourgeoisie népalaise. Les classes supérieures (Bahun et Chhetri) détiennent le pouvoir politique, administratif, militaire et religieux. Tout en bas de l’échelle de l’exploitation, les intouchables (Dalit) [1].

Cette structure monarchique du Népal verra sa remise en cause plusieurs fois dans les années 50-60. A la fin des années 70, la cour royale népalaise dut s’engager dans une réforme démocratique de monarchie constitutionnelle portée par des partis politiques réformistes. Mais en 1990, il était devenu évident que le blabla réformiste n’aboutirait jamais. En 1996, le Népal entra dans une guerre civile qui a fait 13 000 morts et a duré jusqu’en 2006 [2].

Gyanendra, dernier roi du Népal

La monarchie sera abolie lors des accords de retour à la paix et la république proclamée. Un gouvernement de transition sera mis en place. Le Népal deviendra un état laïc et les dernières législations permettant le servage des Dalit seront supprimées. Depuis, le Népal poursuit sa transformation démocratique. Mais le système de caste perdure dans la société et les postes de décision restent entre les mains des castes élevées. La corruption généralisée de ces pouvoirs s’est exprimée pleinement lors du tremblement de terre.

Le rôle de l’immigration communautaire au Népal

C’est dans ce contexte historique qu’il faut comprendre l’immigration népalaise au Qatar. Les travailleurs népalais qui ont immigré dans les pays du Golfe sont pour la majorité issus des Dalit. L’immigration vers les pays du Golfe s’est mise en place après la déception de 1990 au sein des communautés.

Les communautés Dalit ont commencé à voir leur niveau de vie au pays s’élever grâce à l’apport de cet argent extérieur. Et on ne parle pas seulement d’argent. Ce travail international a cassé la main-mise des castes dirigeantes sur la distribution du travail. Avec ces ressources extérieures, les villages Dalit n’ont plus à craindre le boycott de leur production, ni les mises à l’index de leurs travailleurs. Avec l’immigration communautaire, ils ont créé un système économique contournant celui maitrisé par les castes dirigeantes. Celles-ci ont ainsi perdu leur principal moyen de répression.

Mais cette immigration a également une influence au sein du système hiérarchique interne des communautés Dalit qui s’est éduquée dans les guérillas maoistes de la guerre civile. De leur structure hiérarchique émerge une bourgeoisie.

L’inde qui reposait sur un système de castes identique, a suivi le même cheminement. Devant la contestation de leur système de castes de plus en plus forte par les opprimés, les castes dirigeantes indiennes ont su se créer un tampon de classe des élites naissantes parmi les opprimés par sa cooptation, essentiellement par l’introduction d’un système de discrimination positive par quota.

Le propre des programmes de discrimination positives est de générer de minuscules élites qui sont très vulnérables aux stratégies des groupes dominants, qui peuvent priver les Dalits de leur dirigeants en leur offrant des positions lucratives et prestigieuses dans la société établie [3], les coupants ainsi des intérêts de leur base.

Cette manière de procéder n’est certainement pas une nouveauté. Le gouvernement français n’a pas fait autre chose lors de ses politiques coloniales de retrait [4].

Les Dalit du Népal n’échapperons pas plus à cette stratégie.

La FIFA profite de l’exploitation communautaire

C’est à l’issue de ce fil communautaire inculquant le fatalisme qu’arrivent les ouvriers népalais sur les chantiers du Qatar et y meurent.

Alors quand leurs familles ont disparu dans le séisme et que le Qatar empêchent ces travailleurs de les rejoindre, le masque tombe. Ce n’est plus les intérêts des travailleurs népalais qui prévalent réellement mais bien le profit de la multinationale du sport, de l’état pétrolier et des systèmes communautaires népalais. Il ne s’agit pas ici de destin mais bien de la cupidité de ces structures. Et les quatre avions de matériel envoyés par le Qatar est la concrétisation de intérêts liés de chacun.

Pour la reconstruction du Népal, le pays aurait pu disposer de centaines de milliers de travailleurs de la construction aptes à le faire rapidement [5]. Il aura eu droit à trois couvertures et deux seringues. Cynisme absolu.

Après le séisme

Ces travailleurs sont une nouvelle fois sacrifiés à l’autel de la corruption, et nous ne devons pas oublier l’attitude de la FIFA.

Maintenant que la corruption de cette instance sportive est sous la lumière des projecteurs et que chacun peut contempler les rouages de cette maison gangrénée par l’affairisme, les travailleurs népalais du Qatar retournent dans l’ombre médiatique bien qu’en en étant les principales victimes.

Sur la FIFA, les commentateurs ne parlent plus que de pots de vins, de corruptions, de transferts d’argent organisés par les banques américaines et de la succession de Don Mafia Blatter.

Don Mafia Blatter

Mais tous évitent de faire le lien entre les pratiques mafieuses de la FIFA, vitrine du sport capitaliste et l’esclavage des travailleurs népalais produit par le modèle économique du mondial.

Par ailleurs, les ministres idolatres de Michel Platini, devraient se méfier. Car Platini n’est pas un exemple de probité. Beaucoup au syndicat ont été marqué par la chute de cette idole dans les fonds boueux de la caisse noire de Saint-Etienne.

Ces locataires des loges VIP du stade de France [6] oublient aussi qu’il a clairement manœuvré à la FIFA pour favoriser le choix du Qatar pour l’organisation de la coupe de 2022. Sa seule réalisation n’est que la défiscalisation de l’euro de foot de 2016. Il n’est certainement pas très concerné par le sort des travailleurs népalais.

Ces derniers sont loin de ce théâtre de la repentance de la FIFA qui n’a pour but, que d’éviter l’annulation de cette coupe du monde défiscalisée.

Des travailleurs sans frontières contre l’immigration communautaire

La situation des travailleurs de la construction népalais pose des questions internationales sur les conditions de l’immigration menant à leur exploitation. On ne peut se suffire comme le font les organisations syndicales internationales de contrôler dans les pays d’accueil, les conditions de travail ou de revendiquer leur harmonisation au niveau mondial.

Il faut également travailler à extraire les travailleurs des systèmes communautaires qui sont un carcan à leur émancipation. Et cela ne peut se faire sans une revendication de travailleurs sans frontières avec comme moyen une abolition des politiques migratoires des Etats.

Tant que les travailleurs sont retenus dans des situations de semi-illégalité par des politiques d’autorisation de travail au cas par cas et de renouvellement annuel de ces autorisations, ils reviendront perpétuellement dans les systèmes communautaires des "représentants" des chefs de village qui n’a de cesse de maintenir leur exploitation.

Ces discriminations perpétuent la précarité des travailleurs et livrent ainsi une main d’œuvre formée à la résignation au patronat. Elles encouragent la corruption dans les pays d’où sont originaires les travailleurs et perpétuent les élites politiques en place.

Nous travaillons au syndicat pour que nos camarades immigrés puissent trouver leur autonomie et s’affranchissent de tout les profiteurs qui se terrent sur leur chemin. Que ce soit par les cours d’alphabétisation, par la tenue de mandats syndicaux, par les cursus de formation professionnelle ou de recherche d’emplois, par la construction collective des dossiers prud’homaux, par les évènements culturels et festifs, par la chorale syndicale, par les coopératives de consommations, par notre bourse d’entraide et nos ateliers syndicaux, nous mettons tout en œuvre pour que nos camarades prennent le contrôle de leur vie par l’autogestion de l’outil syndical ici et au pays et quittent ainsi définitivement l’exploitation communautaire.


Pour aller plus loin
Ramesh Sunam, « Marginalised Dalits in International Labour Migration : Reconfiguring Economic and Social Relations in Nepal »

Tristan Bruslé, « Représentations d’un groupe national et insertion sur le marché du travail : le cas des Népalais au Qatar ».


[1Dalit signifie opprimés.

[2En aparté, vous apprécierez le travail "journalistique" de François Sergent qui en 2001, réussit à écrire un article sur le massacre de la famille royale par le prince héritier sans mentionner les conséquences sur la guerre civile visant à les destituer. "Il risque d’en falloir plus pour rassurer les 23 millions de Népalais qui révéraient leur roi comme un dieu", écrit-il...

[3Les Dalits à la croisée des chemins par Christophe Jaffrelot. CNRS

[4nous mêmes en tant que syndicalistes révolutionnaires, sommes confrontées à des élites de complaisance issues du syndicalisme d’entreprise

[5Le nombre de travailleurs népalais total est estimé entre 1,2 et 2 million.