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Les valeurs d’excellence du Louvre Abou Dhabi

mardi 28 avril 2015, par SUB-TP-BAM RP

Créé par un accord intergouvernemental signé le 6 mars 2007 entre la France et les Émirats Arabes Unis, le Louvre Abu Dhabi sera un musée singulier et original, liant le dynamisme d’Abu Dhabi et les valeurs d’excellence incarnées par le nom du Louvre.

Voici comment est présenté le projet inutile Louvre Abou Dhabi dans un long texte sur le site du Louvre. Le "rôle essentiel d’éducation" dans un "universalisme" non défini qui s’exprimerait dans le bâtiment de Jean Nouvel.

Regardons donc dans le chantier de construction du Louvre Abu Dhabi comment s’exprime l’excellence française dans l’"universalisme éducatif"... sur les conditions de travail des ouvriers migrants exploités par des français à l’étranger.

L’île de Saadiyat - le Disneyland culturel d’Abou Dhabi

Il est facile de faire des phrases ronflantes sur la culture avec des mots compliqués et passe-partout pour masquer le sens de ces projets culturels. Le mécanisme de ces discours creux est très bien expliqué dans cet extrait "incultures" de Franck Lepage (SCOP le pavé).

Le discours empoulé de nos "élites culturelles" masque donc mal une réalité, le complexe de l’île de Saadiyat reprend point à point le concept de parc à thèmes intégré de Disney.

Le produit "Louvre" est un produit de consommation avant d’être culturel et comme tout produit de consommation, il vise une clientèle. Et si le Louvre Abu Dhabi est censé "apporter la culture", soit admettons même si on en doute, jamais il n’est clairement mentionné pour qui, dans la production du discours culturel français.

Le promoteur d’Adbou Dhabi, Saadiyat, est beaucoup plus clair. Son projet est un écrin de luxe à destination des riches touristes étrangers. Le Louvre Abu Dhabi n’est qu’un manège de ce projet commercial. Il ne s’agit pas d’un partage culturel de l’occident avec l’orient mais bien de l’ouverture d’un nouvel espace de consommation de produits culturels pour ces clients aisés mondialisés.

Le Louvre Abu Dhabi est un modèle élitiste de commerce de la culture qui exclue les travailleurs et qui est construit sur leur exploitation la plus sauvage.

Exploités pour une culture de riche et de marché sur le chantier du Louvre

Human Rights Watch dans son dernier rapport, comme dans les précédents, revient sur la situation des ouvriers sur les chantiers d’Abou Dhabi. Empêché d’enquêter sur place par le gouvernement des émirats, Human Rights Watch a interviewé 113 travailleurs expulsés des chantiers.

Comme nous nous en doutions, pour eux rien n’a changé. Ils ne sont toujours pas payés des salaires qui ne correspondent pas aux montants promis de toutes façons. Tous doivent payer des frais d’embauche non prévus les endettant pour longtemps et leurs passeports sont toujours confisqués.

Les cadences de travail sont infernales et les accidents du travail ne sont pas couverts par un système de santé. Ils vivent encore encore nombreux dans des taudis faute d’accès à des villages ouvriers modernes en nombre insuffisant.

Pour calmer l’opinion internationale qui demandait l’annulation de la coupe du monde de football suite au millier de morts sur ses chantiers de construction, les émirats ont promulgué une charte des droits des travailleurs applicable à tous qui n’est restée qu’un bout de paperasse inutile comme toutes les chartes. Et ce n’est pas PricewaterhouseCoopers (PwC) chargée d’en contrôler l’application qui va lui apporter une crédibilité. Pour rappel, cette société de conseil juridique aux entreprises est celle impliquée dans le scandale de l’évasion fiscale au Luxembourg, le LuxiLeak.

Même si virtuellement, les travailleurs du BTP aux émirats ont des droits nouveaux, il ne leur est toujours pas possible d’accéder à un système légal leur permettant de les faire valoir. Tout est fait pour que ces ouvriers restent dans le travail forcé et l’esclavage, pour les humilier.

Face à cette exploitation totale, les ouvriers du BTP aux émirats ont répondu par plusieurs grèves depuis 2008. La dernière était début avril 2015 [1]. A chaque fois, les médias titrent sur une grève inhabituelle, une grève rare. C’est donc tout à fait faux. En 2008, les ouvriers avaient mis le feu aux étages d’habitation de la direction, caillassé les bus les transportant aux chantiers et pris à partie les forces de répressions. En 2015, 17 voitures de direction ont disparu dans les flammes.

Ces grèves sont à la mesure du mépris qu’ils subissent. Et cela fait en réalité 7 ans que les ouvriers du BTP aux émirats se battent et crèvent, n’en déplaisent aux journaux français.

La réponse des émirats à ces révoltes, est d’expulser en masse ou de déporter les ouvriers grévistes sur d’autres villes pour briser les collectifs et masquer ces grèves. N’oublions pas que les émirats sont des états non-démocratiques. Le Louvre Abou Dhabi de part son silence est bien le complice d’une dictature policière et met au service de cette dictature l’image culturelle des musées français.

Le bal des faux-culs français

Human Rights Watch, de par sa nature d’organisation de charité, ne dépassera pas le traitement des conséquences de l’exploitation des travailleurs internationaux. C’est son rôle, accompagner le capitalisme pour le rendre présentable et non de le remettre en cause.Ils s’en tiennent donc à quelques préconisations aux décideurs qui ne seront pas suivies d’effets.

Les confédérations syndicales mondiales réformistes ayant abandonnées le terrain de la lutte internationale pour rejoindre également celui de la charité n’ont rien de plus à proposer qu’une ONG comme Human Rights Watch.

Il est illusoire de vouloir améliorer le sort des travailleurs immigrés aux émirats sans s’attaquer aux causes de leur exploitation. Et à ce jour, seule pourra le faire une organisation internationale de syndicats révolutionnaires usant de la solidarité internationale de classe, de la grève, du sabotage et du boycott comme moyen. Le Louvre Abou Dhabi, comme le chantier EPR de Flamanville, use de l’exploitation des travailleurs internationaux.

Nous ne prendrons donc pas de gants avec les exploiteurs français de la misère internationale. Le gouvernement français, l’agence France-Museums, l’architecte en chef Jean Nouvel, tous font des déclarations d’intentions à la guimauve au sujet de ces « pauvres travailleurs » qu’on va bien traiter.

Mais assez, assez, qu’ils remballent leurs paroles en sucre, leurs blablas à deux balles, qu’ils se coupent leurs langues de vipères trempées dans le miel. Nous n’attendons rien de ces ennemis de classe.

Quand l’agence France-Muséums demande des garanties sur les conditions de travail sans jamais poser les conditions du contrôle, elle démontre qu’elle sait que ce sont des esclaves qui construirons son musée et qu’elle fermera les yeux.

Le starchitecte, Jean Nouvel, lui, nous fait un numéro d’artiste poétique comme en témoigne son interview sur France Inter. Il part sur des clichés esthétiques sur les tenues et équipements des ouvriers [2] et la noblesse de l’image de l’ouvrier avec ses outils au petit matin. Eh bien sur, il n’a pas entendu parlé des morts sur les chantiers Qataris de la coupe du monde mais il regarde sur son chantier "avec attention". Il est plus facile de savoir quand arrêter son regard quand on ne veut pas savoir. La noblesse poétique de l’ouvrier s’arrête aux grilles de chantier, une fois loin des yeux, il peut redevenir un esclave.

Le gouvernement français, pour sa part, se contente de défiler à Abou Dhabi pour toucher le chèque des pétro-dollars et ce n’est pas quelques ouvriers qui vont l’en empêcher. Fleur Pellerin, la ministre de la culture est allée donner des gages de cécité sociale française aux exploiteurs d’Abou Dhabi en novembre en visitant un chantier totalement vidé de ses ouvriers. Nos ministres si pressés de serrer des mains de travailleurs en France pour paraître "peuple" sur la photo, sont moins pressés quand il s’agit de rencontrer l’exploitation du tiers-monde leur renvoyant leur image de profiteurs de la misère.

Au lieu d’une rencontre avec les travailleurs d’Abou Dhabi, cette ministre nous récite un assortiment de lieux communs sur la culture selon la méthode Frank Lepage citée en début d’article.

Voir la vidéo de la ministre

Que la culture d’état crève pour que vive la culture populaire et syndicale

De par les constructions culturelles que les ouvriers du BTP sortent de terre, nous ne pouvons mettre à part l’action syndicale de la culture. Mais celle que nous pratiquons n’est certainement pas cette caricature culturelle servie par le capitalisme d’état promue par le voyou pilleur de tombes Malraux au sortir de la guerre. .

Au syndicat, l’œuvre importe moins que le partage que nous produisons autours d’elle. Contrairement à l’ensemble de ces vautours culturo-commerciaux, nous rémunérons le travail des artistes et l’œuvre sociale mais pas la valeur marchande d’un produit culturel.

C’est dans cet esprit que le syndicat a développé ses rendez-vous culturels gratuits comme les concerts, le ciné-club, la chorale syndicale. Même si c’est parfois une galère totale, nous continuons à faire grandir une culture commune que nous fabriquons nous même. C’est quand nous sommes ensembles pour soutenir ou produire une œuvre que celle-ci prend de la valeur pour nous et chaque euro issu de nos œuvres culturelles est réinvesti dans le développement de la culture du syndicat.

Notre façon culturelle est combattue par le modèle capitaliste de la culture car la différence est trop fondamentale pour pouvoir cohabiter. Nous étions par exemple, le seul évènement festif et dansant gratuit sur l’Ile-de-France lors de la fête irlandaise.

Les derniers mais pas seuls ? Surement pas seuls grâce au public de nos évènements qui nous accompagne et nous le remercions chaleureusement.

Continuer à faire vivre notre propre culture et la partager est un besoin qui aura toujours une place au syndicat.


[1vous chercherez vous-même l’info sur le Figaro, si vous voulez lire un texte d’ultra-droite réactionnaire.

[2Que pense-t’il des milliers d’ouvriers forcés de faire un marathon en tongues et jeans pour que le Qatar puisse entrer au livre guiness des records en alignant 50 000 coureurs ?