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Autour des bals populaires

mardi 10 avril 2018, par SUB-TP-BAM RP

On trouve aujourd’hui un regain d’intérêt pour les bals, comme en témoignent les nombreux bals programmés ici ou là sur la région parisienne. Notre syndicat s’y inscrit parfaitement, puisqu’il propose depuis de nombreuses années un bal folk et populaire au printemps, d’abord pour commémorer l’Irlande révolutionnaire autour du 17 mars (fête de Patrick) puis vers la mi-avril, à l’occasion de notre commémoration de la Commune de Paris (et du décret du 16 avril 1871 de réquisition des ateliers abandonnés).

Bal musette, guinguette ou bal de la Cour, il y a des mondes pour parler de ce divertissement qui, entre ordre et désordre, possède ses codes et ses rites selon les lieux, les époques et les classes sociales.

Bal populaire, bal public , … quelle histoire ?

Le bal public est ouvert à tou.te.s généralement contre un droit d’entrée ou une consommation. Le premier bal public créé en 1716 par le Régent est le bal de l’Opéra (bal de carnaval) qui reste élitiste au XVIIIème. C’est à la fin du XVIIIème siècle que l’on trouve trace de bals populaires urbains, suite à la Révolution et qui vont se développer tout au long du XIXème dans les milieux ouvriers. Le bal n’est pas franco-français puisque l’on retrouve dès le Moyen Âge et la Renaissance des traces de bals en Italie ou en Allemagne, et puis dans les colonies. Le bal musette est par exemple présent en Italie sous le nom de « ballo liscio ».

Marie-Claude Blanc-Chaléard explique dans l’ouvrage "Paris le peuple - XVIIIème - XXème siècle" que "c’est en 1906 que s’opéra, rue de Lappe, dans le plus couru des bals de la Bastille, la fusion musicale entre la cabrette auvergnate et l’accordéon italien, fusion suivie de peu par l’union de Charles Peguri, Piémontais d’origine et virtuose de l’accordéon, avec la fille du maître des lieux, Bouscatel, lui-même cabrettiste fameux. Ainsi naquit le genre musette, pour toujours attaché au nom de Paris. La valse qui fit tourner l’ouvrier parisien vient donc de l’immigration, mi-provinciale, mi-étrangère" [1]. L’histoire populaire des bals - ou le bal comme pratique sociale populaire - fait ici largement écho à notre journée de commémoration critique sur l’immigration organisée en 2016.

Le bal est originellement lié à la danse. On trouve dans les premiers traités de danse à la fin du XVIème que la danse s’inscrit dans l’art de la séduction, grâce auquel le jeune homme va rencontrer la jeune fille. La danse s’inscrit donc comme rhétorique muette de l’art de séduction visant à permettre au danseur par le mouvement de ses pieds à dire à sa maîtresse « aimez moi, désirez moi » [2]. En ce sens, les bals ont historiquement une fonction matrimoniale. On retrouvera cette fonction de séduction dans les scènes de danse dans les milieux populaires : dans le film Casque d’Or de Jacques Becker (1952), Casque d’Or - "la meilleure guincheuse de Belleville" - et Manda, ouvrier charpentier, se rencontrent dans une guinguette de Joinville-le-Pont et se séduisent lors d’une valse (voir l’extrait en ligne). La caméra virevoltant témoigne d’une passion naissante, et annonce le drame à suivre entre Manda, charpentier honnête incarné par Serge Reggiani et Leca, apache de Belleville et chef de bande.

Le bal se révèle aussi être un jeu de codes, comme le promeuvent les bals de l’aristocratique puis de la bourgeoisie. La maîtrise corporelle est au cœur des bals, et dès les premiers bals au cœur du Moyen Âge les bals et la danse s’inscrivent dans une gestuelle aisée et délicate. Les danses de l’élite, sel de l’humanité, se veulent celles de la grâce et de l’élégance. Cette symbolique se retrouve par exemple dans le Guépard de Luchino Visconti (1963) et la scène de bal. Don Calogero, petit bourgeois en pleine ascension cherche à l’occasion de ce bal à se faire accepter par l’aristocratie sicilienne, qui feint de le considérer comme des leurs. Lorsque Tancrède, neveu du Guépard, amant d’Angelica fille de Don Calogero, fait son entrée au bal, il fait en vérité son entrée dans la nouvelle société en train d’éclore après la déclaration d’indépendance de l’Italie et s’inscrit dans sa fameuse maxime : « que tout change pour que rien ne change ».

A l’inverse, les danses populaires sont perçues comme des danses spontanées, vulgaires, éventuellement pataudes, symbole d’une animalité, voire d’un aspect diabolique, caractéristiques souvent reprises par les dominants pour décrire les classes populaires et essentialiser la domination.
Le blog Histoires de Paris décrit les bals des barrières de Paris au milieu du XIXème siècle, reprenant Victor Rozier [3] :
Les bals guinguettes des barrières sont de nombreux lieux de fêtes, où la misère côtoyait souvent la déchéance. Les bals guinguettes étaient installés dans les guinguettes et marchands de vins établis au-delà des barrières de Paris. Ils s’opposaient ainsi aux bals régis, officiel et dédiés totalement à la danse. Ainsi, les bals guinguettes étaient particulièrement populaires.
Les principaux sont les suivants :

  • Montmartre : l’Elysée Ménilmontant, l’Ermitage Montmartre, le Bal Dourdan, l’Elysée Montmartre, le Jardin de Paris, la Boule noire, la Reine blanche…
  • Belleville : Salon Favie, les Vendanges de Belleville,
  • Montparnasse : Bal des mille colonnes, Bal Grados,
  • Maine : Bal Tonnelier,
  • Rochechouart : Grand Turc
  • Vincennes : Bal Idalie, Bal de la Tourelle…
    Les bals guinguettes étaient en général animés de 7 heures du soir à 7 heures du matin les dimanches. Lors de ces jours, les danseurs sont généralement des familles. En semaine, le contexte est différent. Chaque jour avait sa particularité.

Les scènes d’initiation à la danse et au jazz dans le film de Ken Loach « Jimmy’s Hall » (voir un extrait en ligne) ou la scène de bal en roller dans la « Porte du Paradis » de Michael Cimino (voir l’extrait en ligne) sont magnifiques de solidarité et d’émancipation des corps et des consciences. C’est bien pour s’y opposer que les dominants – l’Eglise catholique et les notables pour l’un, les propriétaires éleveurs et le gouvernement fédéral pour l’autre, mettront en œuvre par la suite une répression terrible.

Visionner en ligne le bal musette (à partir de 5’52) dans les usines Renault occupées en juin 1936, après la course cycliste et de marche organisées dans l’usine (Grèves d’occupation, réalisé par le Collectif Ciné Liberté en mai-juin 1936)

Pourquoi un syndicat du BTP organiserait un bal ?

Dans le prolongement de notre chorale syndicale, qui vise à chanter ensemble – plus ou moins juste -, un bal folk et populaire permet à la fois de se (re)mémorer un pan de notre mémoire sociale, à savoir les musiques et danses folkloriques des régions françaises ou d’autres pays, et de les partager, comme les ouvrier.ère.s du XIX et XXème siècle les partageaient après être « monté.e.s sur Paris ».

Ecouter "Le P’tit bal du samedi soir" (paroles de Jean Dréjac) chanté par Georges Guétary en 1946 et repris par Renaud en 1980

Ensuite, alors que les corps des travailleur.se.s du BTP sont usés et fatigués par le quotidien, la danse permettant une réappropriation des corps – même la danse maladroite et pataude qui peut être la nôtre - peut-être un outil d’émancipation de la classe ouvrière. Faire ensemble, trouver ce point équilibre dans une danse de groupe ou de couple, créer la confiance entre la personne qui mène et celle qui est menée, … participe de cet « agir ensemble » que nous tâchons de promouvoir au quotidien.

Enfin, et tout simplement, parce que nous n’envisageons pas l’action syndicale et la révolution sociale comme une affaire monacale, la fête et le jeu sont des leviers d’action collective et de mobilisation des travailleur.se.s. « Si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution » clamait Emma Goldman.

Comme le dit Marc Peronne, accordéoniste et auteur-compositeur-interprète qui a participé à donner au bal sa vigueur et sa légitimité : dans un bal – qu’il soit folk, musette ou autre -, « les corps glissent les uns contre les autres, métaphore d’une société heureuse pendant les 3 ou 4 minutes où dure la musique, dans laquelle tout glisse, tout est huilé. Chacun est lui-même complètement, perdu avec les autres et lui-même contre les autres et je trouve cela merveilleux ». Nous ne pouvons que faire nôtre cette déclaration envoûtante.

Vous êtes ainsi plus que les bienvenu.e.s pour venir chanter et danser avec nous le samedi 14 avril, lors de notre commémoration de la Commune de Paris suivie d’un bal folk et populaire animé par NosTRADamuse. Pour en savoir plus, voir ici.


[1Paris le peuple XVIIIe-XXe siècle, sous la coordination de Jean-Louis Robert et Danielle Tartakowsky, Éditions de la Sorbonne (2000)

[2Écouter l’émission de la Grande Table dédiée aux bals sur France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/histoire-du-bal

[3Victor Rozier, Les bals publics à Paris. Paris (1855)