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Réinventer la viande à concours

lundi 15 février 2016, par SUB-TP-BAM RP

Il y avait foule devant le Pavillon de l’Arsenal au soir de l’inauguration de l’exposition « Réinventer Paris » [1].

Une heure après l’ouverture il fallait compter environ 45 mn de queue pour pouvoir pénétrer à l’intérieur, à l’instant même où monsieur Jean-Louis Missika, élu « socialiste » à l’Urbanisme de la Maire de Paris, se félicitait de ce succès auprès d’un public composé semble-t-il, majoritairement d’étudiants d’écoles d’architecture ou d’urbanisme.

Après qu’on l’ait présenté comme un élu à 1000 idées/secondes (toutes, bien entendu, plus formidables et exceptionnelles les unes que les autres), ce dernier s’émerveillait de cette assistance si jeune et si nombreuse y voyant le succès de cette opération, et l’avenir inventif de la ville-capital(e)(iste). La sociologie, dont monsieur Missika se réclame, doit s’arrêter à la frontière de la démagogie politicienne.

Revenons donc quelque peu sur ce qui n’est, en fait, qu’un énième raffut médiatique, (dont monsieur Missika est aussi un spécialiste) pour la promotion marchande d’une équipe municipale dont la mission principale serait dorénavant d’être le meilleur opérateur touristique. Monsieur Missika n’a-t-il pas, entre-autre, le titre d’ « élu à l’attractivité » ?

Pour attirer le touriste à devises, il faut bien évidemment lui offrir un peu plus que des commerces ouverts le dimanche. Il faut le faire rêver, lui donner l’image dynamique d’une capitale jeune dynamique, exceptionnelle … innovante.

L’avantage avec monsieur Missika, c’est qu’il a des idées qui ne grèvent pas les finances de la ville. En tout cas pas celle-là. Pour « Réinventer Paris », comme il dit, il suffit de lancer un concours international d’idées, sur des reliquats de terrains dont la ville ne sait pas quoi faire (mais qu’on vendra à prix d’or) … et sans indemniser les participants au concours.

Quand pour 23 terrains disponibles, 800 équipes pluridisciplinaires candidatent : on exulte.

Quand 362 remettent un projet : on se réjouie ;

et quand parmi les 75 retenues à concourir pour la dernière manche on en retient 22 : on se gargarise dans l’entre-soi du Pavillon de l’Arsenal.

Si l’on considère qu’environ 10 personnes par équipes ont travaillé de quelques semaines à plusieurs mois sur les 362 projets présentés, et que dans ces équipes plus de la moitié des travailleurs étaient des étudiants en stage, rémunérés au lance-pierre (pour les plus chanceux), on a un début d’explication sur la jeunesse apparente du public de l’expo.

Essayer de comprendre ensuite la fierté de ces exploités à venir soutenir, par leur présence, le spectacle de leur exploitation peut être plus difficile aux syndicalistes que nous sommes.

En son temps, Renaud n’avait-il pas chanté [2] :

… Voici l’flot des étudiants.
Propres sur eux et non violents
Qui s’en vont grossir les rangs
Des bureaucrates et des marchands

Étudiant poil aux dents
J’suis pas d’ton clan pas d’ta race
Mais j’sais qu’le coup d’pied au cul
Que j’file au bourgeois qui passe y vient d’l’école de la rue
Et y salit ma godasse

Maman quand j’s’rai grand.
J’voudrais pas être étudiant
Alors tu s’ras un moins que rien
Ah oui ça je veux bien

Étudiant en architecture
Dans ton carton à dessin
Y’a l’angoisse de notr’ futur
Y’a la société d’demain
Fais-les nous voir tes projets
Et la couleur de ton béton
Tes HLM sophistiqués
On n’en veut pas nous nos maisons
On s’les construira nous-mêmes
Sur les ruines de tes illusions

Et puis on r’prendra en main
Quoi donc ? L’habitat urbain
Je sais ça t’fait pas marrer
J’pouvais pas m’en empêcher

Pour ce qu’il en est vraiment de l’innovation au-delà des mots dont l’expo se drape (Aquaponie, habitat participatif, co-construction, nudge [3], réemploi de matériaux, béton nettoyant, dépolluant, végétal ou photovoltaïque, biofaçades, briques de papier, dalles actives, fermes urbaines, espaces de co-fooding, co-working ou co-living), on laisse le lecteur qui voudrait en juger libre de s’y rendre pour constater toute la pauvreté des concepts énoncés.


[1« Réinventer Paris » - Exposition des résultats de l’appel à projets urbains innovants _ Pavillon de l’Arsenal - 21 Boulevard Morland, 75004 Paris - jusqu’au 8 mai 2016.

[2« Etudiant, poil aux dents » - chanson de Renaud - 1984