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Un bien piètre ouvrage

Tout ce qui est rouge n’est pas d’or

dimanche 21 juin 2015, par SUB-TP-BAM RP

L’annonce de la publication en français de : « El eco de los pasos » [1] autobiographie de Juan Garcia Oliver [2], laissait espérer une vraie découverte, un grand moment d’authenticité.

Les 640 pages annoncées devaient normalement donner : au lecteur le temps de s’installer dans ce témoignage, à l’auteur celui d’approfondir son analyse d’une période historique intensément vécue, et à l’éditeur le moyen d’offrir un document de poids.

Freddy Gomez, dans la revue Contretemps avait évoqué en 2004 ce personnage que notre mémoire, dans le souvenir des ouvrages d’Abel Paz [3], situait dans le sillage d’Ascaso [4] et de Durruti [5]. Il écrivait alors que ces mémoires, publiées en espagnol en 1978, avaient passablement irrité.

Ce fut l’ultime publication, dans l’Espagne d’après Franco, de Ruédo ibérico, la maison d’édition mythique de l’anti-franquisme fondée à Paris en 1961 et principalement animée par José Martínez Guerricabeitia.

Une publication précédée de peu, à l’époque et chez le même éditeur, par celle du livre de Burnett Bolloten, lui aussi réédité dernièrement par les éditions Agone.

Une première déception

L’objet en lui-même déçoit par une couverture cheap, portant difficilement les 640 pages que le bouquin contient, des coins qui, sous le poids, se cornent à la première manipulation, un dos qui fissure dès la lecture… Une mise en page rébarbative, un pauvre cahier central de photos de fond de tiroirs et de valeurs inégales … Puis deux textes introductifs :

 Le premier de Freddy Gomez, repiqué sur la revue Contretemps

 Le second de José Martin, qui précédait peut-être la première édition.

Deux textes qui s’interrogent sur le personnage, mais qui nous interrogent surtout sur les volontés de l’éditeur, que celui-ci, malheureusement n’éclairera d’aucune déclaration d’intention, de nul positionnement sur le texte qu’il nous livre ensuite.

Une faute d’édition

Il y a peut-être des travaux, que les éditeurs militants devraient laisser aux professionnels.

Nous ne pouvons ici que faire un désastreux parallèle avec l’admirable réédition du livre de Bolloten [6] que viennent de faire les éditions Agone. A la différence de ce dernier, dans l’édition faite par le Coquelicot : pas de préface véritable, pas d’appareil critique, pas d’index des noms cités (Agone va jusqu’à indexer les noms de lieux, d’institutions, de périodiques), pas de bibliographie…

Rien, si ce n’est le texte indigeste d’un vieillard narcissique et bilieux.

Juan Garcia Oliver avait, paraît-il, une admiration sans borne pour l’acteur américain James Cagney

Un récit qui personnellement m’est plusieurs fois tombé des mains tant le propos en est, si ce n’est toujours fielleux, souvent rébarbatif.

Garcia Oliver, ne semble avoir comme source que ses vieux discours de ministre anarchiste éphémère, précieusement gardés et dont il nous serine en de nombreuses pages indigestes, comme un écho de voix à jamais figée.

La faute en revient sûrement principalement à la première édition.

José Martinez qui titre son texte d’introduction de : « Eloge d’une cohérence politique » absout l’imprécision de son auteur par : « Juan Garcia Oliver écrivit « El eco de los passos » sans avoir accès aux archives et sur la seule base de sa prodigieuse mémoire ».

Si on peut, en effet, s’étonner que Garcia Oliver puisse se rappeler, à de nombreuses reprises dans son récit, le menu exact de repas qu’il fit dans les années 20 ou 30, il est beaucoup moins prolixe sur celui des débats contradictoires au sein de la CNT, et sa place particulière … si ce n’est pour s’y faire la part belle.

Le travail remarquable sur les sources réalisé par B. Bolloten, avec de maigres moyens, durant cette même période, depuis le continent américain, et publié chez le même éditeur en France, nous démontre cependant que de multiples sources étaient accessible à Juan Garcia Oliver. Le fait que José Martinez, utilise ce faux argument, laisse sceptique sur l’accompagnement et le regard critique que nous semble devoir un éditeur à son auteur d’abord et ses lecteurs ensuite.

José Fernandez n’eut pas ce recul, comme nous le laisse entendre le texte hagiographique qui ouvre le livre.

De cette situation que pouvait en faire les éditions du Coquelicot ?

Il est évident que si ce témoignage a un intérêt certain, le livrer ainsi, sans base ni soutien scientifique ne fait qu’en appauvrir le propos, qu’en ridiculiser la posture.

Il aurait bien évidemment, après traduction, fallu mettre au travail une équipe scientifique pour analyser le récit, lui apporter l’appareil critique qui puisse permettre au lecteur de le resituer dans l’écheveau complexe des situations historiques et des conflits idéologiques, le rééquilibrer par des positions contemporaines, non partidaires et contradictoires.

Un travail, qui n’en doutons pas aurait pris plusieurs années … et qui reste à faire.

Ce que nous considérons ici comme une faiblesse éditoriale n’est pas l’apanage de l’éditeur que nous incriminons aujourd’hui.

Il est malheureusement fréquent, dans le petit monde de l’édition libertaire, ou la volonté de mettre des textes à disposition prévaut souvent sur la qualité, de rencontrer des travaux bâclés, des tissus d’approximations confondants d’étroitesse d’esprit faisant de ces textes les bréviaires d’un catéchisme rance.

Les coûts d’édition ne sont sûrement pas la seule raison de la piètre qualité de ce qui nous est proposé, et la profusion d’éditeurs et d’éditions libertaires, dont certains semblent ce faire une gloire, n’est pas obligatoirement le signe d’une vitalité idéologique.

Sur le thème du « bref été de l’anarchisme » que furent les quelques mois foisonnants de l’expérience espagnole, il est regrettable qu’il faille chercher hors du mouvement, les analyses nécessaires à la compréhension de ce moment historique manqué (si ce n’est trahi) pour et par l’anarcho-syndicalisme.

Portfolio


[1« El eco de los pasos » :« L’écho des pas » de Juan Garcia Oliver - 640 pages - 25 € - Editions du Coquelicot

[2Juan García Oliver (1901/1980)

Garçon de café, il adhère à la CNT en 1917. Membre d’un groupe d’action monté en représailles aux attentats perpétrés par l’Etat et les pistoléros du patronat, il y rencontre Ascaso et Durruti, avec lesquels il devra prendre les chemins de l’exil.
Après le soulèvement factieux de 1936, et la révolution sociale qui lui fait face, il anime le Comité des Milices de Catalogne, puis à la demande de la CNT entre dans le gouvernement de Largo Caballero, avec le portefeuille de ministre de la justice.
Il est envoyé par ce gouvernement pour faire cesser les tensions à Barcelone en mai 1937.

Juan García Oliver au ministère de la justice.

A la fin de la guerre civile (1939) il se réfugie en France, puis en Suède, et enfin au Mexique jusqu’à sa mort, le 17 juillet 1980.

[3Abel Paz (1921/2009)

Nom de plume de Diego Camacho Escanez, écrivain espagnol et militant anarchiste, auteur de :

· (es) Paradigma de una revolución (19 de julio de 1936), Ed. AIT, Paris, 1967

· Durruti le peuple en armes, Editions de la Tête de Feuilles, 1972

· (es) Los Internacionales en la región española (1868-1872), Barcelone, 1992

· Un anarchiste espagnol, Durruti, Quai Voltaire, Paris, 1993

· Durruti (1896-1936), L’Insomniaque, Paris, 1996

· Guerre d’Espagne, Hazan, 1997

· Chronique passionnée de la Colonne de Fer, Libertad CNT-RP, 1997 ; rééd. Nautilus, Paris, 2002

[4Francisco Ascaso Abadía (1901/20 juillet 1936)

Francisco Ascaso quelques heures avant sa mort en 1936.

Francisco Ascaso quelques heures avant sa mort en 1936.

Originaire d’Aragon il est boulanger puis serveur à Saragosse. Adhèrent de la CNT il devient membre du groupe anarchiste « Los Justicieros », et entre 1920 et 1922, est incarcéré pour "pratiques terroristes".

A sa libération il rejoint Barcelone et « Los Solidarios », auquel participent Durruti, Ortiz, García Oliver, Sanz et Jover, et prend part à des actions contre les Pistoleros (hommes de main du patronat espagnol qui assassinent des syndicalistes) ainsi qu’à plusieurs attaques de banques.

Le 4 juin 1923, en représailles de l’assassinat du leader anarcho-syndicaliste Salvador Seguí, Los Solidarios assassinent l’un des principaux soutiens financiers des Pistoleros : le cardinal Soldevila.

La répression qui suit cet assassinat ainsi que l’arrivée au pouvoir du dictateur Primo de Rivera poussent Francisco Ascaso à s’exiler en France avec Durruti et de García Oliver.

En 1931 et la proclamation de la Seconde République, il revient en Espagne, et devient en 1934 secrétaire général du Comité régional de Catalogne de la CNT.

Francisco Ascaso trouve la mort, comme 400 autres militants de la Confédération, le 20 juillet 1936 lors des combats de rue après le soulèvement militaire prémisse à la guerre civile espagnole.

[5Buenaventura Durruti Dumange (1896/20 novembre 1936)

Description de l’image BuenaventuraDurruti.jpg.

A l’âge de quatorze ans, abandonne les études et apprend le métier de mécanicien.
En 1912, il entre à l’UGT, mais en 1917, est désavoué et expulsé l’UGT en raison de ses positions révolutionnaires, recherché par la police, il passe en France.
Durant son premier exil, de 1917 à 1920, Durruti travaille à Paris comme mécanicien. Il rencontre Sébastien Faure, Louis Lecoin et Émile Cottin ainsi que des anarchistes espagnols exilés militant à la CNT.

Revenu à Barcelone, il participe à »Los Solidarios », qui en 1923, dévalise la Banque d’Espagne à Gijón. L’argent sert à venir en aide aux familles de militants emprisonnés. Des membres de Los Solidarios essayent sans succès de tuer le roi d’Espagne Alphonse XIII.

Toujours en 1923, le groupe est impliqué dans l’assassinat du cardinal de Saragosse Juan Soldevilla y Romero en représailles pour l’assassinat commandité de Salvador Seguí.

En 1924, exilés en Amérique du Sud, ils mènent des attaques contre des banques afin de récolter des fonds dans le but de libérer des camarades emprisonnés.
En France, en 1927, il est emprisonné avec Ascaso et Jover en raison de leurs activités révolutionnaires. de la CNT.

En 1932 et 1933, il participe aux insurrections contre le gouvernement et est déporté en Guinée équatoriale et aux Iles Canaries.

Le 18 juillet 1936, au moment de la tentative de coup d’État des généraux fascistes, Durruti est un des principaux protagonistes des événements révolutionnaires. Durruti part dès le 24 juillet pour le front d’Aragon avec pour objectif la libération de Saragosse.

Début novembre 1936, est mortellement blessé devant Madrid.

[6La Guerre d’Espagne : Révolution et contre-révolution (1934-1939) de Burnett Bolloten

Parution : 21/11/2014 (ISBN : 9782748902143 - 1280 pages - 45.00 € - Editions Agone