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LAFARGE, DE L’ARDECHE AU MONDE … ET DU MONDE A LA SUISSE.

Quand le Capital étend ses tentacules !

dimanche 25 mai 2014, par SUB-TP-BAM RP

1830

Née en 1833 de l’exploitation de four à chaux au lieu-dit Lafarge, entre Viviers et Le Teil (Ardèche), par Auguste Pavin de Lafarge, l’entreprise, dès 1848, se développe sous l’impulsion des deux fils du fondateur, qui se constituent en Société Lafarge Frères, et ouvrent : agences, succursales et entrepôts. En 1884, toujours en nom collectif, l’entreprise devient les Sociétés J. et A. Pavin de Lafarge.

1860

On la trouve déjà en 1864, comme fournisseur pour 110 000 tonnes de chaux hydraulique d’un maître d’ouvrage qui fera scandale : la Compagnie universelle du canal de Suez. Deux ans plus tard, elle crée sa première succursale algérienne. S’engage alors un double processus de croissance interne et externe, Lafarge absorbant dès cette époque, successivement, toute une série d’entreprises concurrentes dans le sud-est et l’est de la France.

1890

Dès 1887, Lafarge fonde le premier laboratoire central au Theil, pour se lancer dans la fabrication du ciment de laitier, et en 1908, introduire une innovation majeure, le ciment fondu. A la veille de la Première Guerre mondiale, Lafarge s’est imposée au premier rang de l’industrie cimentière française et compte parmi les premières entreprises européennes du secteur.

1914

Durant le premier conflit mondial, la production de liants hydrauliques chute des trois quarts : en dehors de l’usine de Vitry-le-François, aucune des cimenteries de la société ne se trouve assez près du front pour bénéficier de priorités en matière d’affectation de main-d’œuvre.

1920

Ces années voient un bond en avant de la production cimentière, avec les débouchés offerts par la reconstruction, la multiplication et la banalisation des applications du béton. Lafarge doit cependant faire face à la concurrence de la part d’entreprises comme les Ciments français, la Société Lambert Frères, les Ciments Vicat, les Ciments d’Origny ou, plus encore, des Établissements Poliet et Chausson, devenus, à la fin des années 1920, le leader français de la profession. Dès 1926, la société ouvre, au Royaume-Uni, sa première usine, point de départ d’une implantation, au Québec. La crise mondiale brise l’expansion de l’industrie cimentière. Le ralentissement ou l’arrêt des grands travaux et de la construction de logements s’accompagne, en France, de l’importation de quantités massives de ciments depuis les pays voisins à monnaie dépréciée.

Devenue société anonyme dès 1919, elle est réorganisée sous l’impulsion de Jean de Waubert (1889-1948). Gendre de Joseph Lafarge, il impose le transfert à Paris de l’état-major de son groupe et ouvre, en Charente, la puissante usine de Couronne, concentre à Fos la production de fondu et ferme cinq autres établissements du groupe.

1930

En 1931, Lafarge se diversifie, en prenant des intérêts dans l’entreprise Gypses et plâtres de France. La société passe mieux la crise des années 1930 que la plupart de ses concurrents français et même européens grâce à ses implantations en Algérie, au Maroc et en Tunisie, ou elle est leader.

1940

Durant la Seconde Guerre mondiale, le groupe, se trouve éclaté entre zone libre, zone occupée, Afrique du Nord et Angleterre. En Algérie et au Maroc, il travaille de façon assez active jusqu’au débarquement américain de novembre 1942. Ensuite les contacts sont rompus avec la métropole du fait de l’invasion de la zone sud par les Allemands. Cet événement entraîne, en outre, la mise sous séquestre par les autorités britanniques du holding contrôlant la filiale anglaise. La société reste cependant bénéficiaire en 1940, 1941 et 1942.

UN ECART … UN PEU GRAND !

Une attitude considérée comme peu « patriotique », est reprochée à « la Famille » et aux actionnaires Lafarge. L’usine-mère du TEIL sera mise sous séquestre entre 44 et 47, sans cependant que le reste du groupe soit touché, ni bien entendu les dividendes. Dès 48 on oubliera alors les accointances nauséabondes d’un certain paternalisme catholique, avec le pétainisme voire le Doriotisme …

Au lendemain du second conflit mondial, la production cimentière explose : dès 1948, elle retrouve son niveau record de 1932. Lafarge se situe alors, au second rang français de l’industrie cimentière française derrière les Établissements Poliet et Chausson.

TOUT CHANGE … POUR QUE RIEN NE CHANGE

En 1947, à la levée du séquestre, la SA des chaux et ciments de Lafarge et du Teil se voit privée de chefs. La famille Pavin de Lafarge, faute de pouvoir trouver en son sein un successeur à Jean de Waubert, fait appel à d’autres hommes, dont Marcel Demonque (1900-1974), qui dominera la période des « Trente Glorieuses ». Attaché à la tradition paternaliste de l’entreprise, ce catholique prône la participation, et introduit des techniques américaines de management. Dès 1951, les Ciments Lafarge cessent d’être contrôlés par la famille, même si celle-ci demeure majoritaire au conseil d’administration dix ans encore.

1950

À partir de 1949, l’entreprise accroît son chiffre d’affaires de 7,1 % par an. La progression est plus forte encore pour les profits : de 1949 à 1973, la marge brute d’autofinancement augmente de 9,7 % par an. Les dirigeants privilégient alors la rentabilité par rapport à la croissance.

en 1955, 35 % de la production est réalisée dans le Maghreb, Mais l’indépendance du Maroc et de la Tunisie puis la guerre d’Algérie l’obligeront à réviser sa stratégie. Dès le début des années 1950, le groupe tente de s’implanter outre-Atlantique. Alors que depuis plus de soixante ans, Lafarge exporte du ciment aux États-Unis, il a été impossible d’y créer une filiale. Le Canada est plus favorable. Lafarge est déjà présent à Montréal, depuis 1948, à travers sa filiale LAC. En 1956 Lafarge crée une nouvelle filiale Lafarge Cement of North America.

1960

Dans les années 1960, une série d’émissions de capital élargit l’actionnariat. Il faut quitter la Tunisie en 1961, Lafarge quitte la Tunisie après la mise sous séquestre de tous les biens du groupe, et l’Algérie, en 1968, du fait de la nationalisation de tous ses actifs. Si les perspectives demeurent favorables au Maroc, l’Afrique du Nord ne représente déjà plus, depuis le début de la décennie, qu’une part négligeable de l’activité du groupe.

La « conquête » du Canada continue, avec dans le viseur celle du marché américain. La percée aux États-Unis se réalise par l’accord conclu, dès 1967, avec Lone Star, le premier cimentier américain, et permet une présence au Bresil. Dès 1969, Lafarge est déjà le troisième cimentier canadien.

1970

A partir de 1971, le groupe réalise plus de 50 % de son chiffre d’affaires à l’étranger. Le rachat de Canada Cement fait de lui le numéro un au Canada. Il reste à conquérir le marché des États-Unis, le Mexique étant la chasse gardée du groupe Cemex.

Lafarge fait de Gypses et plâtres de France le troisième producteur de plâtre, et s’allie avec National Gypsum, second plâtrier américain. Le groupe rivalise alors avec le leader européen : British Plaster Board.

Lafarge se hisse au premier rang français en matière de fabrication de briques réfractaires, de sacs de grande contenance, et la prise de contrôle de Carbonisation, entreprise et céramique lui permet de s’imposer comme l’un des principaux producteurs d’Europe en s’implanter aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Allemagne.

1980

En 1980, Lafarge voulant pénétrer le secteur de technologies nouvelles, s’offre le belge Coppée, avec lequel il est déjà en relation de recherche à travers le GE Lafarge-Coppée Recherche.

Le groupe Coppée formé en 1853, s’est imposé comme l’un des leaders du secteur charbonnier en Belgique, s’intéressant à l’électricité et à l’acier, à l’industrie chimique, et même aux industries agricoles et alimentaires. En 1962, il avait crée notamment Orsan, leader des biotechnologies. En même temps, il développe d’importantes compétences en ingénierie, lesquelles ouvrent d’intéressantes perspectives au groupe Lafarge.

En 1981, une OPA est réalisée sur General Portland contrôlant 7 % du marché des États-Unis, son association dans Lafarge Corporation, donne naissance au premier producteur nord-américain (14 % du marché total).

1990

En 1988, Lafarge prend, en Allemagne, le contrôle de Portland Zementwerk, et rachète Cementia, numéro deux helvétique, derrière Holcim. Lafarge entre ainsi dans le capital d’Asland SA (Espagne), et de Perlmoor (Autriche, puis acquiert une participation majoritaire dans Cizkovicka Cementarna a Vapenice AS (Tchéquie).

En 1994, le groupe crée un joint-venture avec des partenaires chinois en vue de l’exploitation et du développement d’une cimenterie dans la région de Pékin.

En 1995, Lafarge s’impose comme le leader sur le marché polonais en prenant le contrôle de la cimenterie de Kujawy (Pologne), ainsi qu’une participation dans celle de Malogoszcz.

En 1997 Lafarge rachète le groupe britannique Redland. Le groupe passe ainsi du troisième au second rang mondial dans les bétons et du cinquième au premier dans les granulats. En outre, grâce à la filiale Braas de Redland, Lafarge intègre un nouveau métier, la toiture, domaine dans lequel il devient leader mondial.

En 1998, Lafarge signe en outre un accord avec la compagnie chinoise Chengdu Dujiangyan Building Materials Corp. : il prévoit la construction, dans le Sichuan, d’une cimenterie de 1,3 million de tonnes, la plus grande et moderne du sud-ouest du pays. La même année, Lafarge devient majoritaire et opérateur industriel dans PT Semen Andalas, qui exploite une cimenterie à Sumatra. Dès lors, l’activité se développe rapidement en Indonésie. Le groupe s’implante aux Philippines, où l’acquisition de deux sociétés, Continental et Seacem, lui permet de s’affirmer comme le second cimentier national.

Grâce à l’acquisition de la division plâtre de Donghu Group et de l’usine de Byuckan Corp., Lafarge s’impose comme le leader sud-coréen de la plaque de plâtre. Deux ans plus tard, Lafarge acquiert 39,9 % du capital du quatrième cimentier sud-coréen, qui devient Lafarge Halla Cement Corporation.

2000

Dès 1999, le groupe s’est établi en Inde, avec Lafarge Cement India.

En 2000, la fusion des activités Asie de Lafarge et du groupe australien Boral donne naissance à une entité leader du marché en Chine, Corée du Sud, Indonésie, Malaisie et Philippines. À cette date, Lafarge s’implante aussi en Thaïlande. Un an plus tard, c’est au tour du Japon, tandis qu’en Inde Lafarge produit déjà 5 millions de tonnes de ciment par an.

Avec le rachat de Warren Paving & Materials Group Ltd, Lafarge devient l’un des premiers producteurs de granulats en Amérique du Nord, en se dotant de 80 sites d’exploitation et d’une capacité de production de 18 millions de tonnes par an. Le groupe Warren est alors, au Canada, le leader pour la fourniture d’asphalte (5 millions de tonnes par an) et de matériaux pour revêtements routiers (ville et autoroute). Lafarge se trouve dès lors en concurrence directe avec Colas, autre groupe français, filiale de Bouygues

En 2001, c’est au tour de la société britanique Blue Circle de rejoindre le groupe, Le chiffre d’affaires augmente de 12 % en 2001 et de 7 % en 2002. Les capacités cimentières du groupe progressent de 35 % et ses effectifs de 17 000 salariés nouveaux. Surtout, il devient le numéro un mondial du ciment, tout en restant le numéro deux dans le secteur des bétons et granulats.

En 2008, dans le cadre du plan de nationalisation de l’industrie du ciment, du président Hugo Chávez, Lafarge conclut un accord de cession de ses filiales vénézueliennes.

En 2009 Lafarge cède ses parts dans ses sociétés de couverture

2010

En 2011 Lafarge cède au belge Etex ses activités plâtre en Europe et en Amérique du Sud.

Etex est un groupe industriel non coté qui produit et vend des matériaux et systèmes de constructions de haute performance. Basé en Belgique, il emploie plus de 13.500 personnes.

2014

Les deux plus grands cimentiers mondiaux, le suisse Holcim et le français Lafarge, décident de fusionner pour donner naissance à un colosse, qui pèsera 32 milliards d’euros et 130 000 emplois, présent dans 90 pays, répartis entre pays développés ou à forte croissance, dans une stratégie offensive pour contrer les géants des pays émergents, comme le mexicain Cemex et le chinois Anhui Conch, premier producteur mondial de ciment avec une capacité de 217 millions de tonnes par an, devant Lafarge (205 millions) et Holcim (174 millions).

Holcim, né en 1902, à Holderbank (suisse), sous le nom de la Fabrique argovienne de ciment Portland, fusionna, deux ans plus tard, avec la Rheintalischen Cementfabrik Rüthi, détenue par Ernst Schmidheiny. Dès 1920, l’entreprise parti à la conquête des marchés étrangers, et en 1930, pris le nom d’Holderbank depuis. Implanté partout dans le monde, Comme Lafarge, il réalise plus de 70 % de ses ventes hors d’Europe. Avant cette fusion, Holcim était déjà le leader mondial du ciment avec 71.000 salariés dans 70 pays.

De vieilles sociétés qui ont conservé l’ « esprit de famille »

Chez Lafarge, comme chez Holcim, on note la présence significative dans leur tour de table d’entrepreneurs et de grandes familles plutôt que d’institutionnels. Chez Lafarge, le Belge Albert Frère est le plus gros actionnaire (20,9 %) devant la famille égyptienne Sawiris (13,9 %). Chez Holcim, Thomas Schmidheiny, descendant du fondateur, possède 20,1 % des parts, et le milliardaire russe Filaret Galchev est le deuxième actionnaire, avec 10,8 % des parts.

Leur communiqué de fusion n’annonçait-il pas : « compte tenu de la forte complémentarité de leur portefeuille et de la proximité culturelle entre les deux sociétés, il existe une logique à examiner un tel rapprochement »

Bibliographie

  • Léon Dubois, Lafarge-Coppée. 150 ans d’industrie, Paris, Belfond, 1988,
  • Émilie Dyèvre, Pavin de Lafarge, une lignée industrielle (1833-1914), mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Paris IV - Sorbonne, juin 2000, 235 p.
  • Bertrand Collomb, « L’industrie européenne du ciment au XXe siècle », Entreprises et Histoire, no 3, 1993, p. 97-111 ; Jung-yeon Lee, Poliet et Chausson : l’ascension d’une entreprise cimentière (1901-1970), DEA d’histoire, Université de Paris IV - Sorbonne, juin 2005, 246 p.
  • Dominique Barjot, « Les industries d’équipement et de la construction 1950-1980 », in M. Lévy-Leboyer (sous la dir. de), Histoire de la France industrielle, t. 4 : 1950-1980. Le temps de l’expansion, op. cit., p. 412-433.
  • Jung-yeon Lee, Poliet et Chausson : l’ascension d’une multinationale à la française durant les Trente Glorieuses : Lafarge (1946-1974), mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Paris IV - Sorbonne, septembre 2004, 331 p.
  • Martine Müller, Lafarge-Coppée : de mémoire d’hommes. De 1946 à demain : un demi-siècle de croissance industrielle, sous la dir. de Félix Torrès, Paris, Public Histoire, 1989, 156 p.
  • Dominique Barjot, « Un leadership fondé sur l’innovation, Colas : 1929-1997 », in L. Tissot, B. Veyrassat (éd.), Trajectoires technologiques, marchés, institutions. Les pays industrialisés, XIXe-XXe siècles, Bern, Peter Lang, 2001,