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1970-1974 : Les boycotts verts des travailleurs du bâtiment en Australie

samedi 8 septembre 2012, par SUB-TP-BAM RP

Ce court récit relate comment les travailleurs du bâtiment ont sauvé du développement urbain spéculatif de nombreuses zones naturelles en Australie en lançant un mouvement d’action syndicale soucieux de l’environnement signifiant leur refus de travailler sur ces chantiers de réaménagement.

Le contexte historique lors des boycotts verts (Green Bans)  [1] est la destruction des principales villes d’Australie dans les années 1960 et 1970. A cette époque de grandes quantités d’argent furent dépensées dans la construction de bâtiments géants de verre et de béton qui changèrent le visage de ces villes et amenèrent la destruction des bâtiments populaires. Les intérêts des habitantes et des habitants de ces quartiers et l’héritage architectural furent balayés par des constructions souvent purement spéculatives. 10 millions de pieds carrés  [2] d’espaces de bureaux vides furent dénombrés dans le district des affaires à Sydney à cette période, tandis que des gens cherchant leur première maison ou appartement ne pouvaient rien trouver.

En 1971, la branche syndicale des Nouvelles Galles du Sud  [3] de la Fédération des Travailleurs du Bâtiment (FTB) décida que cette destruction devait cesser, même s’il y avait des ouvriers employés pour la mener. La branche syndicale des Nouvelles Galles du Sud était menée par trois hommes qui devinrent bientôt célèbres : Jack Mundey, Bob Pringle et Joe Owens.

Ils déclaraient que : « Dans une société moderne, le mouvement ouvrier afin de jouer un rôle vraiment significatif, doit s’engager dans toutes les luttes industrielles, politiques, sociales et morales affectant le peuple laborieux dans son ensemble… Dans ce contexte, les travailleurs du bâtiment commencent à demander aux gouvernements, aux employeurs et aux architectes que les constructions qui sont nécessaires au peuple aient la priorité sur les immeubles de bureaux superflus qui bénéficient seulement aux promoteurs qui veulent s’enrichir rapidement, aux compagnies d’assurances et aux banques ».
Le syndicat insistait pour que les priorités soient inversées, pour que les constructions d’appartements et de maisons soient plus importantes que l’empilement d’édifices de bureaux commerciaux vides ou sous-utilisés. Ils revendiquaient le droit d’intervenir dans le processus de décision et d’y exercer un contrôle ouvrier, déterminés qu’ils étaient à utiliser leur travail d’une manière socialement utile.
La campagne maintenait que « tout travail accompli devrait avoir une utilité sociale et une nature écologique bénigne ».

Le mouvement démarra en 1971, lorsqu’un groupe de 13 femmes de la banlieue de Hunter’s Hill dans les Nouvelles Galles du Sud, essaya de sauver la zone de Kelly’s Bush  [4], le dernier espace ouvert existant dans cette endroit. Ces 13 femmes sont : Jo Bell, Joan Croll, Kathleen Chubb, Christena Dawson, Mary Farrell, Marjorie Fitzgerald, Miriam Hamilton, Betty James, Trude Kallir, Kath Lehany, Monica Sheehan, Margareth Stobo et Judith Taplin.

La firme du bâtiment AV Jennings prévoyait de construire de luxueuses demeures sur cette zone de brousse. Ces femmes bientôt surnommées les « batailleuses pour Kelly’s Bush » approchèrent le conseil municipal, le maire, le représentant local de l’État et le premier ministre.... en vain.

Après deux ans de lutte infructueuse, elles approchèrent alors la branche syndicale des Nouvelles Galles du Sud de la Fédération des Travailleurs du Bâtiment. Cette démarche était inédite car Hunter’s Hill était une banlieue chic conservatrice inaccessible à la classe ouvrière. Ce fut la sincérité de ces femmes en lutte qui emporta la décision du syndicat. Les critères écologiques primèrent sur le niveau de vie du quartier.

Toutefois, la FTB demanda aux femmes de Hunter’s Hill d’appeler à un meeting public pour démontrer qu’il y avait un soutien de la communauté à la demande de boycott syndical contre la destruction de Kelly’s Bush. Plus de 600 personnes participèrent au meeting, qui demanda formellement un boycott.

Ce boycott fut appelé boycott vert, pour le distinguer du boycott noir – une action syndicale destinée à protéger les intérêts économiques de ses propres membres. Dans ce cas le syndicat allait contre les intérêts économiques de ses membres au bénéfice d’une communauté plus large et d’un intérêt environnemental.

Cette union avec des syndicalistes causa une scission dans la communauté d’Hunter’s Hill. Il fut reproché aux 13 de s’allier aux communistes et la place du meeting fut renommé le « carré rouge ». Elles eurent à subir de nombreuses brimades au sein même de cette partie de la communauté.

De son coté, la firme AV Jennings déclara qu’elle construirait son projet sur Kelly’s Bush en utilisant des « jaunes » non syndiqués, mais les travailleurs du bâtiment qui oeuvraient sur un autre chantier de bureaux d’AV Jennings au nord de Sydney envoyèrent un message à leurs patrons : « Si vous tentez de construire dans Kelly’s Bush, et même s’il y a la perte d’un seul arbre, ce bâtiment-ci à moitié construit le restera à jamais, comme un monument à la gloire de Kelly’s Bush ».
AV Jennings céda à cette pression et cela alarma les promoteurs en général. Le premier boycott vert fut un succès complet – et Kelly’s Bush est encore là comme réserve naturelle ouverte au public. Un monument au premier boycott vert de l’histoire y rappelle l’action directe des travailleurs du bâtiment, avec le soutien des populations résidentes, qui vainquit les promoteurs.

Après cela, des groupes d’action d’habitantes et d’habitants, concernés par la destruction de leur espace local se précipitèrent pour demander à la FTB des Nouvelles Galles du Sud d’imposer des boycotts similaires. Le syndicat continua à insister sur le fait qu’un boycott pouvait seulement être imposé s’il y avait un enthousiasme public pour la lutte organisé par les gens concernés, que le syndicat ne s’érigerait pas en maître de ces luttes et qu’il imposerait ces boycotts seulement avec le soutien des communautés.

En 1974, 42 boycotts verts avaient été imposés, stoppant plus de 3 milliards de dollars  [5]. Certaines personnes déclarèrent que le syndicat déniait des emplois aux travailleurs, le syndicat répondit qu’ils voulaient construire des bâtiments, mais des bâtiments utiles comme des crèches, des maisons de retraites, des hôpitaux, des logements pour les gens ordinaires, pas des constructions superflues pour les promoteurs avides d’enrichissement qui détruisaient l’environnement bâti.

Mundey écrivit « Qu’allons nous dire à la prochaine génération ? Que nous avons détruit Sydney au nom du plein emploi ? Non, nous voulons construire des bâtiments socialement utiles ».

Plus de 100 bâtiments considérés par la Fondation Nationale comme étant dignes d’une préservation furent sauvés par les boycotts verts. Et les boycotts verts amenèrent le gouvernement des Nouvelles Galles du Sud à édicter des lois de démolition plus restreintes.

Certaines des zones sauvées par les boycotts verts incluent The Rocks, le lieu de naissance de l’Australie européenne, où plus de trois millions de touristes viennent chaque année, le Centennial Park, qui fut sauvé d’une transformation en Stade de béton, les Jardins Botaniques, qui furent sauvés d’une transformation en parking de l’Opéra, et Woolloomooloo  [6] fut sauvé d’un projet de plus de 400 millions de dollars de tours commerciales et est maintenant un prototype pour le re-développement attractif et utile des centres-villes où un véritable mélange socio-économique des populations qui y vivent dans des édifices de densité moyenne entourés d’arbres et d’espaces verts.

Une femme de Sydney écrivit au syndicat : « Je n’aime pas les syndicats. Mais merci à vous et à votre syndicat pour ce que vous avez fait. Les particuliers ne sont pas capables d’empêcher des destructions stupides comme vous avez été capables de le faire… Merci d’avoir agi pour moi et d’autres personnes comme moi ».

Le mouvement des boycotts verts s’effondra en 1974 quand la direction fédérale de la FTB, sous Norm Gallagher, destitua la direction de la branche des Nouvelles Galles du Sud. Cette « intervention » fut justifiée sous le prétexte que la branche des Nouvelles Galles du Sud avait outrepassé les limites des affaires syndicales traditionnelles, cela fut exécuté avec l’approbation des promoteurs, des politiciens conservateurs et des médias, qui avaient essayé sans succès, de bien des manières, d’intimider la branche syndicale des Nouvelles Galles du Sud pour qu’elle délaisse ses boycotts verts.

Outrepasser les limites des affaires du syndicat avait constitué une authentique menace pour les promoteurs ; Norm Gallagher fut leur syndicaliste jaune.

L’engagement de la branche syndicale des Nouvelles Galles du Sud pour limiter la durée des mandats syndicaux défia sans aucun doute le style de direction syndicale de Gallagher. Et ce ne fut pas seulement Gallagher qui se sentit gêné à propos des limitations posées par branche syndicale des Nouvelles Galles du Sud de la FTB concernant la durée des mandats syndicaux. Cela dérangea également des représentants dans d’autres syndicats, ayant ou non des principes, de gauche ou de droite, ce qui explique pourquoi la branche syndicale des Nouvelles Galles du Sud ne reçut pas plus de soutien pratique des organes officiels du mouvement ouvrier dans leur bataille contre l’intervention fédérale de la FTB.

Que la campagne des boycotts verts ait été brisée de l’intérieur des rangs du syndicalisme fut un coup particulièrement amer. Jack Mundey songeait récemment que l’époque des boycotts verts fut « l’une des plus positive du mouvement syndical » ; il croit que si la branche des Nouvelles Galles du Sud avait survécu au putsch de Gallagher, son approche des questions de conservation se serait répandue dans d’autres syndicats.

Norm Gallagher fut plus tard emprisonné pour avoir touché des pots-de-vin de la part des promoteurs.

L’un des derniers boycotts soutenu par la FTB, pour empêcher la construction d’appartements de luxe en remplacement d’immeubles populaires dans la banlieue de Kings Cross  [7], s’est terminé par des expulsions des habitantes et des habitants par la police des Nouvelles Galles du Sud, et par le kidnapping (et probablement l’assassinat) de la journaliste Juanita Nielsen elle-même résidente du quartier.

Lors de l’enquête sur sa disparition, les liens entre un des principaux investisseurs du projet de luxe, le promoteur, un caid de la mafia et un policier corrompu et accusé d’assassinats ont été révélés.
Lors de ce boycott, les habitantes et habitants furent menacés, violentés, leurs appartements furent cambriolés et cassés. Le président du comité de résistance fut même enlevé et tabassé dans un motel.

Juanita Nielsen disparut alors qu’elle s’apprêtait à publier un article documenté sur la corruption politique, les promoteurs, la police et la pègre. Alors que deux hommes de main ont été condamnés pour le kidnapping, le meurtre en lui-même n’a jamais été prouvé. Il reste une des grandes énigmes criminelles australienne.

Bien que les boycotts verts aient été mis en oeuvre à un certain nombre d’occasions depuis les années 1970, ils n’ont pas été si répandus ni si complets dans leur effet.

La traduction initiale du texte a été réalisée en juin 2012 par le Collectif Anarchiste de Traduction et de Scannerisation (CATS) de Caen.
Ce texte est issu de la fusion de deux textes en anglais trouvés sur le site britannique Libcom.org (http://libcom.org/ ), dans sa rubrique « History », sous les titres « 1971 : The Kelly’s Bush green ban » et « 1971-1974 : Green bans by builders in Australia ».

Il a été repris et complété par le Syndicat Unifié du Bâtiment
de la CNT Région parisienne.

Portfolio


[1Green ban ou parfois union ban, le terme « ban » signifie littéralement interdiction, en l’occurrence l’interdiction pour les travailleurs syndiqués de travailler sur les projets ou chantiers dénoncés par le syndicat, mais le terme de boycott, plus concis et explicite lui a été préféré – Note du CATS

[2soit environ 929 000 mètres carrés – Note du CATS

[3un des États de l’Australie – Note du Cats

[4le terme « bush » peut se traduire par brousse – Note du CATS

[5valeur de 1974, on ignore s’il s’agit d’une somme en dollars australiens ou si elle a été convertie en dollars US – Note du CATS

[6un quartier central près du port de Sydney – Note du CATS

[7Quartier comparable au quartier Montmartre dans les années 70. Ces deux quartiers ont suivi le même destin.