« FROTTER FROTTER, FAUT QUE CA BRILLE »
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Cette mini-série (brodée sur la lutte réelle, acharnée et victorieuse des femmes de chambres de l’hôtel Ibis, du groupe Accor, de juillet 2019 à mai 2021), diffusée le 19 février prochain sur France 2, est incontestablement un film de femmes.
UN FILM DE FEMMES
Hélène Le Gal, Laure Mentzel et Mélusine Laura Raynaud au scénario et Marion Vernoux, à la réalisation offrent sans conteste la part belle, aux femmes de chambre d’un grand complexe hôtelier, invisibilisées et méprisées par la société et ceux qui les emploient, qui se rebellent contre leurs conditions de travail difficiles, dans un combat pour la dignité.
Les scénaristes, habituées à l’écriture des séries fadasses de France Télévision, ont pour une fois abandonné les rôles titres de fliquettes et de gendarmettes et les univers de manoirs et notables provinciaux pour braquer le projecteur sur ces femmes précarisées de la classe ouvrière.
Les dialogues y sonnent plutôt justes, pour autant qu’ils sortent de la bouche de ces dernières (même s’il en est souvent autrement pour les autres personnages, comme l’avocate bourgeoise ou le syndicaliste hors sol).
Pour cela, et pour les actrices qui les incarnent : merci.
Ceci exonère la série pour certaines facilités de scénario (la fille du patron qui donne une bague de 22 000 €, « la famille Ovomaltine » et méritante de la gouvernante (héroïne de la série), etc.).
Il en va tout autrement de l’image du syndicalisme de lutte que projette cette série.
UN SYNDICALISME HORS SOL.
La série aurait -elle manqué d’un conseiller technique, en pratique et fonctionnement syndical ?
L’origine, ou le milieu social des scénaristes et réalisatrice, les rendraient-elles si éloignées du syndicalisme, pour en concevoir cette image totalement désincarnée ?
Nous relèverons ici les quelques éléments principaux, qui sont entrés en collision avec notre conception et pratique syndicale quotidienne.
Un syndicat … sans syndiqués
On nous présente un syndicat spécifique, au nom improbable (« Remue-ménage »), tenu par un secrétaire irrémédiablement seul (si l’on excepte une nièce ?), alors qu’il faut au minimum 2 adhérents majeurs pour créer un syndicat en France.
Pas la moindre trace d’autres adhérents présents lors des moments de préparation ou de formation, sur les piquets de grève, les fêtes de soutien, ou la mobilisation autour de la caisse de grève. Si le local syndical est plein de pancartes revendicatives, on cherche désespérément qui pourrait bien les porter.
Un syndicat sans syndiqués, donc sans cotisations, ni revenus identifiables qui trouve cependant les moyens de payer un local, un permanent, et des revenus de solidarité à hauteur de 70% des salaires dès le premier mois de conflit.
Dans quel monde peuvent bien vivre les scénaristes ?
De toute évidence pas dans celui du syndicalisme de lutte.
Un permanent syndical … marginal
On aurait pu croire le permanent syndical issu du milieu professionnel qu’il défend (ce qui aurait été dans la logique même du syndicalisme) … mais on apprend qu’il aurait précédemment été un petit prof de théâtre raté, reconverti, suivant on ne sait quel cheminement, dans le syndicalisme de la branche du nettoyage.
Ou alors, on aurait pu croire qu’il s’agissait d’un juriste en droit social, mettant ses compétences au service d’un syndicat dont, par ce fait, il tiendrait les rênes (ça peut s’être vu ou se voir, à défaut de se concevoir, dans le secteur du nettoyage), mais la série nous le révèle sans grandes compétences en ce domaine, les grévistes devant trouver, seules et par hasard, une avocate (elle-même incompétente).
Ce « syndicaliste » est, en fait, un bourgeois déclassé (voir la demeure familiale), qui adapte ses techniques de respiration théâtrale, pour préparer à la prise de parole des ouvrières grévistes, qu’il enlace à bras le corps (quel militant syndical a-t-il jamais fait cela ?)
Dans une interview (1) la réalisatrice Marion Vernoux, indique qu’elle s’est beaucoup nourrie du film documentaire « On a grévé » réalisé par Denis Gheerbrant (dont on peut lire, à ce titre, la critique très intéressante de Critikat (2)), sans avoir jamais avoir voulu rencontrer grévistes, et permanents syndicaux.
Ceci explique sûrement cela.
Tout cela, et avec les meilleures intentions, demeure dans l’air du temps.
UNE SERIE DANS L’AIR DU TEMPS
Une série féministe construite sur une sororité interclassiste (prolétaires racisées, bourgeoises en quête de sens ou de valeurs perdues) prédominante sur la lutte de classe dont les organisations collectives et syndicales n’en sont même plus la trace.
Une série républicaine, bienpensante (de gauche), ou l’on persiste à valoriser la méritocratie (la fille ainée de la gouvernante va entrer à Sciences-Po), l’antiracisme de façade (Il faut que tout change, pour que rien ne change (3)), où rien ne change vraiment dans l’exploitation de ces femmes de chambres (elles n’ont pas le choix de changer de vie comme le fait, à la fin, l’avocate bourgeoise).
On est ici très loin du film de 68 ; « La reprise du travail aux usine Wonder. (4), loin de la rage ouvrière qui naît et vit après la lutte.
Pour les dernières images que l’on nous donne à voir, ce n’est pas à la porte de l’hôtel, ce n’est pas dans le local syndical que l’on retrouve la gouvernante, héroïne de la série ; mais chez elle, lors de la réception d’un réfrigérateur (que les acquis de la grève lui permettent de renouveler).
Au livreur lui-même exploité, elle ne donne pas l’adresse du syndicat, mais lui propose son aide individuelle, comme si le collectif ne pouvait vivre que le temps du conflit.
Notes :
(1) Les entretiens de l’U2R – Festival de la fiction de La Rochelle - Youtube
(https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=Marion+Vernoux+festival+frotter)
(3) Le guépard
(4) https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=reprise+du+travail+aux+usine+wonder