« Y’A PAS DE PROBLEME »

mardi 28 janvier 2025
par  SUB-TP-BAM RP
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Lors de la dernière permanence du syndicat, nous avons reçu Bakary (1), venu chercher du soutien par rapport à un employeur particulièrement malhonnête.
Nous sommes malheureusement habitués à entendre, et devenir témoins, des mensonges, des malversations, des délits commis par celles et ceux qui n’envisagent leur prochain que comme un mouton à tondre, un naïf a escroquer.
Habitués certes, mais toujours abasourdis par l’ampleur de l’assurance de ces patrons à croire leurs salariés, en état de faiblesse et enfermés dans une forme de servitude volontaire, annihilant toute capacité à se défendre.

Bakary avait besoin, de « crever l’abcès », de « vider son sac », de crier sa fureur à avoir été trompé, méprisé, atteint dans sa dignité.
Cela a occupé près de la moitié de la permanence.
Autours de la table, d’autres camarades (ayant pu connaître de véritables galères), restaient éberlués, semblaient soufflés, à l’écoute de ce qu’avait accepté Bakary.
De façon trop fréquemment répété, Bakary ponctuait chaque phase scandaleuse de son récit par un « Y’a pas de problème ! ». Comme la scansion, au sens inversé, d’une dignité revendiquée ; d’un homme voulant rester droit et solide dans le déluge.
Qui ne se frotte pas à la réalité de l’isolement et de la détresse de travailleurs sans-papiers soumis à ces patrons-voyous, ne peut comprendre la situation de précarité absolue dans laquelle se débattent beaucoup de ces compagnons de misère et leurs fait accepter ce qui peut nous paraitre inacceptable.

Bakary nous a dit :
« Je suis aide-couvreur et j’ai travaillé, en 2013, pour un artisan originaire de mon pays (Mali). Pour ce chantier, il m’avait promis 2 000,00 €, mais ne m’en a versé que 600,00 €.
En décembre dernier, il m’a rappelé pour un chantier dans l’Eure, et m’a demandé si je pouvais venir avec un autre couvreur.
Je lui ai répondu que ne m’ayant pas payé en 2013, je n’avais pas confiance et ne souhaitais pas me porter garant, pour lui, auprès d’un autre travailleur qui risquait de subir le même préjudice. »
L’artisan lui avait alors affirmé que la situation était aujourd’hui différente et qu’il paierait 4 000, 00 € pour l’ensemble du chantier.
Bakary, trouva donc un partenaire et accompagné de l’artisan, ils se rendirent sur le chantier le week-end du 14 décembre 2024.
Malgré l’engagement de l’artisan à leur trouver un hébergement, arrivé sur place il leur annonça qu’il leur faudrait dormir dans le camion, et qu’il n’avait pas d’argent à leur remettre pour les repas … et les laissa seuls sur le chantier.
Le propriétaire de l’ancien corps de ferme ardoisé qui tenait lieu de chantier, était sur place et à l’annonce qu’ils devraient dormir dans le camion leurs dit que ce n’était pas possible (au regard des température extérieures en décembre) et les logea dans une dépendance.
Bakary et son collègue ont travaillé tout le samedi et le dimanche, au-delà du jour, éclairés à la lampe.
Le dimanche soir Bakary a rappelé l’artisan, pour lui demander de venir les chercher, car son collègue (qui avait conduit le camion à l’aller), s’était rendu compte qu’il avait oublié son permis de conduire chez lui.
L’artisan lui annonça qu’il ne pouvait pas venir les chercher, et qu’il fallait qu’ils se débrouillent pour ramener le camion jusqu’à chez lui (dans l’Essonne) … ce qu’ils firent en désespoir de cause, ne pouvant restés bloqués dans l’Eure.
Malheureusement, le camion fut contrôlé par les gendarmes au dernier péage avant Paris, et après le constat de l’absence de permis du conducteur et la situation administrative irrégulière de Bakary, le camion fut bloqué sur le bas-côté, et Bakary contraint de rappeler l’artisan, pour qu’il paye l’amende (640,00 €) et vienne les chercher.
L’artisan lui répondit (une nouvelle fois) par la négative, et dit qu’il leu envoyait ses voisins turcs pour récupérer le camion.
Une fois arrivés sur place, les Turcs ne purent reprendre le camion qui restait bloqué par la gendarmerie. A la demande de Bakary qui leurs demandait de les accompagner (lui et son collègue) jusqu’à chez l’artisan (leur voisin), Ceux-ci lui répondirent qu’il leurs en coûterait 150,00 € (de frais d’essence).
Pour les décider, Bakary leur donna 50,00 € ; les 100,00 € restant à la charge de l’artisan, qui les paierait à leur arrivée, mais une fois sur place l’artisan ne répondit plus au téléphone.
Pour que les Turcs acceptent de les déposer (avec tous leurs outils) à Paris, Bakary du renégocier 60,00 € de frais d’essence et s’engager à payer les 100,00 € le lendemain si l’artisan demeurait « aux abonnés absents ».
Le 20 décembre Bakary est retourné sur le chantier (dans l’Eure), pour rencontrer l’artisan, et lui demander de lui donner au moins 1 000,00 € pour couvrir les frais engagés par lui et son collègue (péage, amende, essence, …).
L’artisan s’est alors montré violent, blessant Bakary à la tête.
Le client présent, ayant appelé la gendarmerie, l’artisan a quitté précipitamment le chantier avant leur arrivée.

Au regard des éléments en notre possession (témoignage du client, dépôt de plainte de Bakary auprès de la gendarmerie, certificat médical, …) le permanencier du syndicat, en accord avec Bakary a décidé d’entamer une procédure contre cet artisan pour travail dissimulé, atteinte à l’intégrité physique et morale, non-respect du droit du travail et de la convention collective du bâtiment, …)
A suivre …

(1) Le prénom a été changé