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LES TRAVAILLEUR·EUSES SUISSES DU BTP NOUS MONTRENT-ILLES LA VOIE ?

lundi 2 janvier 2023, par SUB-TP-BAM RP

En novembre dernier, et Pour la première fois depuis 55 ans, la Suisse a vécu un mouvement social de forte ampleur. Quelque 10.000 travailleur·euses de la construction (qui compte encore un taux de 50% de syndiqué·es) ont cessé le travail pour protester contre la non-application de la convention collective sur la retraite anticipée à 60 ans.
Pour la Suisse, d’habitude si tranquille, ce mouvement a été vécu comme un événement national. La dernière grève générale, à laquelle avaient pris part 400.000 ouvrier·es et salarié·es, remontant à … 1918.

Le conflit menaçait d’éclater depuis plusieurs semaines. Les syndicats SIB (Syndicat Industrie et Bâtiment) et SYNA (Industrie, commerce, services...) qui appelèrent à la grève, avaient d’ailleurs organisé depuis le 21 septembre diverses manifestations contre la "violation de contrat" par la Société Suisse des Entrepreneur·euses (SSE).Parties de Suisse centrale, ces actions (une quinzaine de grèves ou débrayages selon les syndicats) avaient progressivement gagné l’ensemble du pays.
"La grève est sûrement le signal que les temps sont devenus plus durs et que l’on pourrait bientôt ne plus pouvoir parler du cas spécial d’harmonie sociale de la Suisse", avait averti Hansueli Scheidegger, du syndicat SIB, dans une déclaration au Sonntags Zeitung.
En effet, la particularité suisse des Conventions Collectives du Travail (CCT) se trouve dans une clause de « paix absolue de la paix du travail » qui interdit aux syndicats signataires d’organiser des grèves pendant sa durée de validité.
« Augmentez les salaires pas le temps de travail » ou « Non à la flexi-précarité », pouvait-on lire sur de larges banderoles au second jour des manifestations.
Discours, témoignages, chants et musique ont animé le parcours, coloré par cette marée rouge. Une minute de silence a été observée sur le pont Bessières pour rendre hommage aux collègues ayant perdu la vie en exerçant leur métier.
Les maçon·nes dénonçaient l’intention des patron·nes de vouloir flexibiliser à outrance les horaires de travail, avec des journées à rallonges durant l’été et des congés forcés lors des mois d’hiver, et les grévistes s’indignaient que la Société suisse des entrepreneur·euses (SSE) refuse d’augmenter les salaires, malgré le contexte économique actuel.
« Les maçon·nes construisent les ponts, les maisons et les tunnels. Leur métier est dur et dangereux. Illes méritent une meilleure protection, des horaires de travail corrects et une augmentation de salaire décente », a déclaré Nico Lutz, responsable de la construction au syndicat Unia.
L’accord achoppait, d’autre part, sur le montant des rentes que devraient toucher ceux et celles qui souhaitent partir à la retraite anticipée avant 65 ans. Le patronat proposait en effet de réviser à la baisse le montant des rentes versées, estimant que le système prévu initialement ne permettait de payer 70% du salaire brut qu’aux travailleur·euses partant à la retraite anticipée dès 63 ans, ce que contestaient les syndicats.

SANS SURPRISE LES PATRON·NES DECLARERENT LA GREVE ILLICITE
Les patron·nes de la construction mirent en avant le caractère illicite de la grève et firent savoir qu’illes allaient porter plainte (devant la Chambre des relations collectives de travail de Genève-CRCT), estimant que cette grève violait l’obligation du respect de la paix du travail, car organisée alors qu’un 7ième round de négociations devait encore se dérouler entre les partenaires sociaux.
Le juge genevois ne leurs ayant pas donné satisfaction, les patron·nes ne s’avouèrent pas pour autant vaincus, et examinèrent notamment la possibilité de déposer une plainte devant le tribunal arbitral national prévu par la Convention nationale du secteur principal de la construction, selon leur porte-parole Matthias Engel.
La répression patronale a été bien plus forte et organisée qu’à l’accoutumé. Courriers individuels de menace, journal patronal diffusé sur les chantiers et visite des cadres ont tenté de criminaliser cette grève.

QUAND EST-IL DE LA COMBATIVITE DES TRAVAILLEUR·EUSES SUISSES DE LA CONSTRUCTION
C’est sûr que vu de France, une manifestation de 10 000 travailleur·euses de la Construction peut faire rêver les syndicalistes que nous sommes. Nous qui déplorons, chaque fois, la trop faible présence de travailleur·euses du BTP présent·es ici dans les cortèges revendicatifs.
Le salarié.es suisse de la construction n’ont toutefois pas déclaré la grève générale. Ce mouvement ne s’est prononcé que pour des débrayages et des grèves de 24H00.
Pourtant le Syndicat Industrie & Bâtiment (SIB) à derrière lui une longue tradition de lutte, empreinte de traditions syndicalistes-révolutionnaires.

A Genève, particulièrement, les racines de l’organisation ouvrière et syndicale dans ces branches remontent à la première moitié du 19e siècle et vont jusqu’à la grève des menuisiers en 1918.
Bien avant, le début du mouvement ouvrier organisé qui est d’ordinaire fixé, en Suisse, à la fondation de la Société suisse du Grütli (1838-1925).
C’est donc avant la création de cette Société que les menuisiers de Genève fondent, avec leur Caisse de résistance, la première organisation syndicale.
Le niveau d’organisation des travailleurs dans les professions du bois restera élevé tout au long du 19e siècle. Il se manifestera par exemple par la Convention collective de travail de 1857 à Genève et la fondation de la Fédération suisse des ouvriers du bois en 1886, où charpentiers et ébénistes se regroupent, et fut fut rejointe en 1904 par la Fédération romande des ouvriers menuisiers, ébénistes, charpentiers et parqueteurs, et en 1908 par la Fédération des ouvriers vitriers.
Les ouvriers du bâtiment se sont également organisés très tôt à Genève en formant en 1849 l’Association des Corps d’état en bâtiment. Ils avaient, eux aussi, une tradition de lutte active. Ils utilièrsent la grève à plusieurs reprises : en 1868 (soutenu par la Première Internationale), 1869, 1898, 1903, 1919 et 1920 quand la Coopérative du Bois et du Bâtiment de Genève (COBG) est créée.
Alors que les membres de la Fédération des ouvriers sur bois faisaient, lors des conflits, généralement preuve de discipline et disposaient d’une bonne organisation, les maçons et les manœuvres continuèrent jusqu’aux années 1920 à agir de manière plutôt spontanée.
La Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment (FOBB) est fondée le 1er juillet 1922. Elle est le résultat de la fusion de la Fédération des ouvriers du bois et de la Fédération des travailleurs du bâtiment. On dénombrait 15 232 membres en 1922, 32 353 en 1930, 35 101 en 1940, 65 720 en 1950, 83 304 en 1960, 98 480 en 1970, 113 353 en 1980 et 124 501 en 1990.
Après les turbulences de l’après-guerre, le partenariat contractuel se renforça. Le syndicaliste réformiste traçait son chemin.
La FOBB garda son nom jusqu’en 1992, lorsque la fusion avec la Fédération du textile, de la chimie et du papier (FTCP) donna naissance à la plus grande organisation syndicale de Suisse, le Syndicat Industrie et Bâtiment (SIB).
Dès la fin des années 1990, le SIB donna une image nouvelle et plus radicale du syndicalisme suisse en organisant des manifestations et des grèves dont certaines prirent une ampleur inédite depuis des décennies (grève du bâtiment en 2002). La plus grande organisation de salariés du pays (125 000 membres en 1993 et 90 983 en 2003) décida lors de son congrès de 2004, de renoncer à son indépendance et d’adhérer au vaste ensemble syndical « Unia », comprenant dorénavant : le SIB (Syndicat de l’industrie du bâtiment), la FTMH (Fédération suisse des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie) la FCTA (Fédération suisse des travailleurs du commerce, des transports et de l’alimentation), l’ancien syndicat « unia » (actif dans les services) et le syndicat genevois « actions » (actif dans le secteur tertiaire).

L’Unia (qui est aussi membre de l’Union Syndicale Suisse (USS)), compte environ 200 000 membres, et est le plus grand « syndicat » en Suisse, et gère la plus importante caisse de chômage de Suisse. En 2013, cette caisse a versé des prestations d’assurance chômage pour plus de 1 milliard.

Dans ces multiples absorptions, et au contact d’organisation syndicales réformistes, les syndicats du Bois et du bâtiment ont perdu leur caractère révolutionnaire et leurs pratiques d’action directe.
En s’affiliant à l’Unia, fort critiquable sur son management interne (en violation du droit du travail et harcèlement sexuel), les travailleur·euses ont généralement troqué leur esprit de révolte contre l’uniformisation du gilet rouge.

Syndicat de masse ou syndicat de minorités agissantes, avec au cœur l’esprit révolutionnaire et les pratiques d’action directe de la vielle CGT, le SUB a fait son choix … mais ne désespère pas d’attirer dans ses cortèges de plus en plus de travailleur·euses conscient·es.