Accueil > Syndicat Unifié du Bâtiment > Communiqués & Interventions > Pourquoi nous ne chanterons pas la Grève des Mères

Pourquoi nous ne chanterons pas la Grève des Mères

jeudi 5 octobre 2017, par SUB-TP-BAM RP

Lors des événements organisés par le syndicat la chorale, le SUB Urbain, chante des chansons de lutte tirées du répertoire de chants révolutionnaires « classiques » mais aussi en partie écrites par le syndicat sur les luttes des travailleurs du bâtiment.

Parmi les chansons du répertoire « classique » se trouvent une chanson antimilitariste et pour certains au syndicat vue comme « féministe ». Mais pour le peu de femmes présentes au syndicat, au nombre de 5, cette chanson, qui a pu en son temps être à l’avant-garde et pourquoi pas en faveur des luttes de femmes, nous paraît contradictoire avec ce que nous défendons.

Le choix des chansons de notre répertoire n’a jusqu’à maintenant jamais tourmenté personne puisque tout le monde a intégré que le masculin a valeur de neutre, valeur d’universel.

On pourrait se contenter de répondre que le monde du bâtiment n’est de toute façon pas un monde ouvert aux femmes. Soit, mais il serait malvenu étant donné nos prises de positions syndicales de se contenter de cette réponse fataliste. N’attendons pas les réformes de l’éducation, n’attendons pas les mesures pour l’égalité des salaires et la parité pour se saisir du sujet : Donnons-nous maintenant les moyens d’intégrer des femmes.

Une des idées phare du SUB se résume sous cette maxime :
« Tu es chez toi au syndicat »

Dans notre société rongée par le patriarcat, les femmes sont doublement exploitées puisqu’elles réalisent deux journées de travail pour le prix d’une (le travail salarié et le travail ménager et la charge mentale qui va avec). De par ces obligations, il est moins facile pour une femme de trouver le temps de faire du syndicalisme. Comment consacrer 4h dans un samedi pour une Assemblée Générale quand on n’a pas les moyens de faire garder ses enfants ?

Alors ne reproduisons pas cela au syndicat. Faisons en sorte que les femmes au syndicat soient mieux que chez elles. Faisons en sorte, qu’au syndicat, les femmes soient fortes. Veillons toutes et tous à ne pas faire de notre syndicat une reproduction en miniature des agressions sexistes et patriarcales qu’elles subissent tous les jours.
Puisque tout le monde pense qu’il ne s’agit que de chansons, que ce n’est pas bien grave, puisque personne n’a peut-être jamais analysé notre répertoire sous le prisme du sexisme, c’est à nous, femmes du syndicat, de le faire.

Son auteur et le courant de pensée

Montéhus, l’aîné d’une famille de 22 enfants, a écrit plusieurs chansons engagées et notamment antimilitaristes, jusqu’en 1914 où il composa des chansons militaristes et patriotiques.
Début du 20e siècle, dans un contexte de forte baisse de la natalité en France depuis plusieurs décennies, le courant nataliste, largement porté par la classe dirigeante, tente d’imposer sa propagande. Les anti-natalistes pensent quant à eux que c’est la fécondité non maîtrisée des classes laborieuses qui les plonge dans la misère. Ils prônent alors une le contrôle des naissances. Parmi eux, Paul Robin, qui a mis en œuvre la coéducation des sexes, milite pour le contrôle de la fécondité et le droit à l’avortement.
Ce courant anti nataliste fait écho en particulier dans les milieux libertaires, le contrôle des naissances priverait le capitalisme d’une la force de travail nécessaire à son développement, et de soldats pour le défendre.
La grève des mères, écrite en 1905, s’inscrit dans ce contexte.

Les paroles

Puisque le feu et la mitraille,
Puisque les fusils les canons,
Font dans le monde des entailles
Couvrant de morts les plaines et les vallons,
Puisque les hommes sont des sauvages
Qui renient le dieu fraternité,
Femmes debout ! femmes à l’ouvrage !
Il faut sauver l’humanité.

Refrain :
Refuse de peupler la terre !
Arrête la fécondité !
Déclare la grève des mères !
Aux bourreaux crie ta volonté !
Défends ta chair, défends ton sang !
À bas la guerre et les tyrans !

Pour faire de ton fils un homme,
Tu as peiné pendant vingt ans,
Tandis que la gueuse en assomme
En vingt secondes des régiments.
L’enfant qui fut ton espérance,
L’être qui fut nourri en ton sein,
Meurt dans d’horribles souffrances,
Te laissant vieille, souvent sans pain

Est-ce que le ciel a des frontières ?
Ne couvre-t-il pas le monde entier ?
Pourquoi sur terre des barrières ?
Pourquoi d’éternels crucifiés ?
Le meurtre n’est pas une victoire !
Qui sème la mort est un maudit !
Nous ne voulons plus, pour votre gloire
Donner la chair de nos petits.

La femme est une mère

Les paroles de cette chanson ne résonnent pas de la même manière aujourd’hui. Certes le contrôle des naissances et l’avortement sont supposés être accessibles à tous.tes depuis plus de trente ans mais ces pratiques n’en restent pas moins stigmatisées. Et malgré cela, la femme est avant tout encore aujourd’hui vue comme une mère.

Plus que la figure de la mère, on parle même d’injonction à la maternité. Notre société est construite sur le modèle de la famille. La femme ne se réalise pas si elle n’a pas enfanté, couvé ses petits, essuyé la morve. Une vie n’est pas vraiment tout à fait parfaite sans enfant pour l’embellir. La pression est forte pour ceux mais surtout celles qui n’ont pas franchi le cap une fois la trentaine dépassée, la pression augmentant parallèlement à la diminution du stock d’ovules, finis en compote sanglante au fond d’une coupe menstruelle ou d’une serviette hygiénique.

L’auteur ne remet absolument pas en cause cette construction sociale, une femme est une mère, une mère qui ne rêvait que de ça pour accomplir sa destinée de femme. Ainsi, avec la guerre elle a perdu « l’enfant qui fut [s]on espérance » (mais pas sa santé, son avenir professionnel, ses ami.es). Et quid des femmes qui du coup, construction sociale ou pas, souhaitent ardemment des enfants ? Montéhus leur ordonne d’arrêter pour le bien de ses semblables (= les hommes) via un discours culpabilisant.

Actuellement, on peut remarquer que la figure de la maternité ne s’incarne pas seulement dans le fait de devenir mère. Les professions maternantes sont encore beaucoup trop représentées parmi les femmes : les métiers du soin, du social, du souci aux autres, de l’éducation.

Quand des femmes arrivent à percer en politique, on (les autres qui font de la politique = des hommes blancs, âgés, hétérosexuels) explique souvent que c’est surement grâce à leurs compétences naturelles pour la maternité qui se retrouvent dans leur qualité d’écoute (quand on va mal, on veut se faire réconforter par sa môman), leur dévouement (elles sont naturellement prêtes à tout abandonner pour leur foyer) leur sens du concret et du local (préparer la tambouille et faire les courses ça aide à se rapprocher du petit peuple et entendre sa souffrance)

A l’époque de création de cette chanson les femmes sont peut-être toutes mères. Toujours est-il que dans cette chanson le mot femme rime avec mère et de plus mère de garçons puisque la problématique est bien de ne pas faire de garçons qui devront devenir des soldats. Les filles on s’en fiche.

On peut également noter que les femmes sont appelées en dernier recours « puisque les hommes sont des sauvages ». Elles ne sont pas amenées à réfléchir conjointement, en tant qu’égale avec les hommes pour mener des actions qui feront cesser la guerre. Elles sont appelées, par défaut, par dépit, dans une dernière tentative idéaliste reposant sur le postulat « s’il n’y a plus personne à tuer, s’il n’y a plus personne pour tuer, alors il n’y aura plus la guerre ». En plus d’être appelé au dernier moment parce que les hommes n’ont pas réussi à s’organiser, on peut aussi se demander si les femmes sont considérées comme des militantes en lutte.
L’enfantement est vu comme une production, une production dont on peut cesser l’activité comme on bloquerait une usine donc les femmes sont vues comme des outils, des outils qui enfantent et qui nourrissent. Des outils que les hommes peuvent manier à leur guise et non, encore une fois, comme des femmes en lutte.

C’est en ce sens que cette chanson est antimiltariste, mais pas forcément féministe.

Culpabilisation des femmes seules responsables de la procréation

La venue au monde d’un enfant ne se décide pas seule et ne se produit pas seule. Les femmes ne peuvent arrêter les enfants que si on leur donne les moyens financiers, que l’on cesse de leur imposer des relations non-voulues, qu’on leur donne les droits et l’information nécessaires pour se procurer un moyen de contraception, le moyen d’avorter.

La question aujourd’hui c’est l’implication des hommes dans le contrôle des naissances, mis à part le fait de donner des leçons aux femmes du genre « as-tu bien pris ta pilule ? », « si on a un enfant ce sera de ta faute ! ».

Pourquoi la contraception masculine est-elle si peu développée ? Est-ce vraiment un problème technique ? Non. Il s’agit surtout d’un manque de moyen et d’investissement dans les recherches. Heureusement, certains hommes y travaillent. Le slip chauffant (plus scientifiquement : la contraception masculine par hyperthermie testiculaire) a fait ses preuves et pour les plus radicaux la vasectomie peut se pratiquer facilement. Cette chanson ne répond pas à cette question et est culpabilisante vis-à-vis des femmes.

Les femmes sont fortes mais on ne leur dit pas

Quand on est dominée, on a la plupart du temps soi-même du mal à s’en rendre compte puisqu’on a intériorisé son infériorité, les brimades, les réflexions.
On pourrait alors se dire, très bien, l’auteur ne fait pas dans la dentelle et n’évite pas certains écueils mais tout de même, son attention reste louable : il veut pousser les femmes à rentrer dans la lutte antimilitariste, il veut les aider à prendre conscience de leur condition de dominée. Elles sont aussi fortes que des hommes, peuvent lutter à leurs côtés mais ont besoin d’un coup de pouce pour s’en rendre compte toute barbouillées, remplies de patriarcat qu’elles sont.

Que nenni ! L’auteur ne cherche pas à motiver les femmes ou à leur redonner confiance en elles.
En effet, il leur ordonne leur moyen de lutte puisqu’il ne leur parle qu’à l’impératif ou sous forme d’injonction ce qui n’est sûrement pas le meilleure moyen pour réhabiliter quelqu’un dans ses droits, dans sa légitimité et en faire une camarade de lutte : « Femmes debout/ Femmes à l’ouvrage/ Refuse/ Arrête/Déclare/Crie/Défends ».

En conclusion nous ne voulons pas chanter cette chanson.

Elle est la seule de notre répertoire, pourtant assez conséquent, qui s’adresse aux camarades femmes, et qui plus est, écrite par un homme.

Devons-nous en conclure qu’aucune chanson ne s’adresse aux femmes en lutte ? Qu’aucune chanson de lutte n’a jamais été écrite par une femme ?
L’histoire a sûrement la mémoire sélective quant aux productions artistiques des femmes et les chansons se transmettent sûrement plus par l’oral que l’écrit et se perdent donc plus facilement.
Mais il faut alors se tourner vers des œuvres contemporaines, en écrire ou en adapter !

En attendant, la chorale a décidé de ne plus chanter cette chanson en attendant d’en réécrire les paroles. La chanson sera toujours publiée dans le carnet de chant mais avec ce texte en miroir.

Portfolio